Rivalité politique entre Alger et Rabat, la tragédie économique

Redaction

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Les oppositions politiques et la fermeture de la frontière terrestre entre le Maroc et l’Algérie empêchent une collaboration économique fructueuse de ces deux pays voisins. Une situation qui ralentit la croissance des deux pays et surtout amoindrit leur poids dans la grande machine économique qu’est la mondialisation.

Le Sahara Occidental comme objet de conflit, le Maroc accusé d’être une base arrière aux groupes armés terroristes qui frappent l’Algérie,  l’Algérie jugée responsable par les hautes sphères marocaines de l’assassinat de Marrakech. En 1994, les tensions qui existent entre les deux voisins s’intensifient et atteignent leur paroxysme lors de la décision prise par Alger de fermer sa frontière avec son voisin. Par la suite rien n’est fait pour apaiser cette relation politique tumultueuse, ce qui limite une croissance économique mutualisée.

La fermeture des frontières : un frein aux échanges régionaux

«La fermeture de la frontière a d’abord pénalisé les régions orientales du Maroc qui, traditionnellement, s’inscrivaient dans des flux économiques avec l’Algérie», explique Akram Belkaïd, journaliste et essayiste, qui vient de publier l’ouvrage Retours en Algérie.

Les échanges commerciaux mais aussi le tourisme ont ainsi été directement impactés par la fermeture de la frontière en 1994. A long terme, le projet d’une intégration économique régionale a également été empêché. «Dans un monde où les marchandises circulent bien plus librement que les hommes, le blocage algéro-marocain apparaît comme une hérésie. Il est ainsi impossible d’imaginer un projet économique de grande envergure», estime Akram Belkaïd avant d’étayer ses propos par l’exemple de Renault : «Tanger Med [le nouveau port de Tanger en développement, ndlr] et sa future usine algérienne ne pourront en effet pas être reliés par voie terrestre».

La fermeture de la frontière n’est que l’arbre qui cache la forêt. Le véritable frein à la réalisation de l’Union du Maghreb réside plus globalement dans les tensions entre les régimes marocain et algérien. «Les tensions politiques entre l’Algérie et le Maroc ont fait perdre du temps au Maghreb qui est aujourd’hui une « non-région » sur le plan économique», estime le journaliste et essayiste algérien. «Et, il ne faut pas se le cacher : les milieux économiques privés des deux pays dépendent grandement des pouvoirs politiques en place», ajoute-t-il.

La constatation est la même du côté de l’économiste Camille Sari, auteur de l’ouvrage Algérie et Maroc : quelles convergences économiques. «L’absence d’une union économique maghrébine empêche le développement des échanges de biens et services et de capitaux, ainsi que de la circulation des ressources humaines. Le Maghreb est la seule région au monde qui ne connaît pas de construction régionale et où le commerce intra-maghrébin est insignifiant», a-t-il écrit.

Alors certes, il y a une absence de collaboration institutionnelle et les volumes d’échanges sont encore faibles, mais il serait inexact de dire qu’ils sont inexistants.

Lentement mais sûrement, l’économie tourne malgré les tensions politiques

La fermeture des frontières terrestres a ralenti les échanges économiques entre les deux voisins mais ne les a pas totalement arrêtés : «On a des échanges avec d’autres moyens, aériens et maritimes», a expliqué Abdelkader Aggoun, le président du club des Entrepreneurs et Industriels en Algérie». «Malheureusement ça prend beaucoup de temps, surtout l’agriculture qui rentre du Maroc en Algérie et les produits manufacturés de l’Algérie qui partent au Maroc», a-t-il ajouté sur RFI en avril 2013.

Les collaborations existent réellement entre les acteurs économiques des deux pays voisins mais restent limitées. «Leurs réseaux électriques sont interconnectés, par exemple» et le «tracé de l’Autoroute Est-Ouest en Algérie a été imaginé de manière à être prolongé au Maroc», explique le journaliste et essayiste Akram Belkaïd. Pour que les entrepreneurs et les acteurs du secteur économique se rencontrent; il existe aussi «des forums, des débats mais cela reste insuffisant», précise-t-il.

Il ne faut pas oublier qu’il existe tout de même des accords d’échange entre le Maroc et l’Algérie à travers la Grande zone arabe de libre échange (GZALE). Au sein de cette zone, le Maroc est d’ailleurs l’un des partenaires d’échange les plus importants de l’Algérie. Selon les chiffres du ministère du Commerce algérien, le Maroc représentait 12% des importations algériennes en provenance de la GZALE en 2012 et 18,61% des exportations algériennes vers les pays de la GZALE. Néanmoins, à l’échelle internationale, les échanges entre les deux voisins restent très faibles puisque le commerce intrarégional ne représente que 2 à 4% des échanges du Maroc et de l’Algérie.

Quelle solution ?

Selon Akram Belkaïd, le déblocage économique doit passer «par une initiative politique historique où tout serait mis sur la table. La question des frontières et, bien entendu, celle du Sahara». Une analyse qui rejoint celle d’Asma Bouraoui Khouja, directrice du think tank Maghreb Economie Forum. «Si vraiment cette question du Sahara Occidental est résolue, on gagnerait 8 à 10% d’augmentation du commerce intra-régional. On estime que la création d’emploi pourrait se monter à 200 000 voire 300 000 emplois, dont le tiers serait des emplois qualifiés. Et on gagnerait en termes de croissance : 2 points par an et par pays», a détaillé cette enseignante tunisienne sur les ondes de RFI en avril 2013.

L’apaisement politique est cependant une perspective qui semble encore bien lointaine. «Le problème, c’est qu’en Algérie comme au Maroc, on croit pouvoir s’en sortir seul. Les Algériens se disent qu’ils ont les hydrocarbures et le Maroc est persuadé que l’Europe sera sa planche de salut. Ces calculs sont erronés et, tôt ou tard, on se rendra compte du coût énorme du non-Maghreb», regrette Akram Belkaïd.

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