Jamais un témoignage d’un ancien responsable du FIS dissous n’a été aussi précis et poignant à la fois comme l’a été celui de Ahmed Merani, ancien dirigeant du parti islamiste. « Les dirigeants du FIS avaient fait échouer le projet islamiste », raconte le militant dans l’entretien accordé au journal arabophone Echourouk. Pis encore, Merani témoigne aujourd’hui que le parti fondé en 1989 n’avait ni «projet politique ni vision pour l’Algérie». C’est juste une machine politique qui avait, selon lui, comme seul objectif d’arriver au pouvoir.
Ahmed Merani va jusqu’à accuser Abassi Madani d’avoir exploité le FIS pour devenir président de la République. « Ce qui l’intéressait, c’était de devenir président de la République », témoigne-t-il en accusant l’ancien président du FIS, actuellement en exil à Doha au Qatar, de prendre «ses décisions seuls, sans se référer au Conseil consultatif ». C’est d’ailleurs ce choix de prise de décision qui a poussé, selon Merani, à la déchéance du parti. Car, selon lui, le FIS ne disposait ni d’une vision ni d’une direction unifiée. « C’était un conglomérat de cadres venus de plusieurs horizons », a-t-il dit. Cette situation n’avait pas seulement conduit à la chute du FIS, mais «à l’échec du projet islamiste dans toute la région ».
Les Djazaïristes, les partisans de Nahnah et les adeptes de Djaballah
Avant cette période du FIS, Ahmed Merani se remémore les souvenirs d’un passé islamiste glorieux. L’ancien responsable du FIS, reconverti en ministre de la République en 1995, en pleine période de fureur islamiste, raconte, dans cet entretien fleuve accordé au journal Echourouk, comment est-ce que l’Islamisme politique a pris racine dans le pays.
Ahmed Merani, qui révèle que l’Islamisme a connu son apogée sous l’ère Chadli, est remonté plus loin dans le temps. Il raconte, par exemple, comment est-ce que cette mouvance radicale, a réussi à recruter des troupes dans les mosquées durant les années 1970.
Des révélations fracassantes ou des anecdotes croustillantes, on se rend compte au fil de la lecture que le mouvement islamiste n’est pas né d’un pur hasard. Mais c’est plutôt la résultante de plusieurs années de travail et de sensibilisation, mais aussi de lutte dans les mosquées et les écoles.
Merani raconte, certes, son itinéraire. Mais à travers lui, on revoit d’autres personnages qui ont façonné cette mouvance. C’est le cas de Mahfoud Nahnah, Cheikh Sahnouni, Abassi Madani ou encore l’ancien président du GPRA, Benyoucef Benkhedda. On apprend d’ailleurs que ce dernier avait flirté avec cette mouvance durant des années avant de couper ses liens avec elle, en 1982.
Ahmed Merani, qui fut ministre des Affaires religieuses sous Lyamine Zeroual, est longuement revenu dans cet entretien, sur des questions qui ont défrayé la chronique durant des décennies, à l’instar de l’affaire Bouyali ou encore la création du FIS. Il révèle, d’ailleurs, que, avant Bouyali –qualifié ici d’ignorant- d’autres personnes avaient tenté de changer les choses par les armes. En vain.
Parmi les lectures de Merani, celle relative au courant Djazaïriste qu’il assimile à la maçonnerie. Mais, a-t-il ajouté, à partir de 1982, la mouvance islamiste avaient 3 grandes tendances : les Djazaïristes, les partisans de Nahnah et les adeptes de Djaballah. Autant dire que toutes les tendances islamistes d’aujourd’hui avaient leurs racines de cette période charnière de l’Algérie contemporaine.
E. W.