«C’est le plus grand mensonge de l’histoire. Il n’y a jamais eu dans le Coran le mot Etat. L’Islam ne prône aucun système politique précis. Ce sont les islamistes qui ont produit des mensonges pour berner la communauté musulmane». C’est en ces termes que Saïd Djabelkheir, journaliste, chercheur en sciences islamiques et spécialiste du soufisme, décrit le projet politique prôné par les islamistes. Pour lui, l’Etat Islamique n’est même pas une utopie, mais tout simplement «un mensonge». «Il n’a y a aucune justification religieuse à ce qu’ils avancent. Dans le Coran, il n’y a aucune prescription qui appelle à un Etat Islamique. Les musulmans sont libres de choisir leur propre système politique», précise encore le chercheur algérien auteur de plusieurs travaux académiques sur cette question.
Une dangereuse falsification idéologique
Selon notre interlocuteur, ce projet politique repose sur une énorme manipulation sémantique et épistémologique car les islamistes ont intégré au corpus coranique le mot «gouverner» alors qu’il n’existe nullement dans le Coran. «Le Coran parle de «juger» et jamais de «gouverner». Le glissement de sens opéré par les penseurs de l’islamisme est dangereux et a encouragé la confusion dans le monde musulman. Quand le Coran parle de «juge», les islamistes parlent de «gouverneurs». Or, ce n’est pas vrai», explique Said Djabelkheir qui point du doigt la falsification idéologique accomplie par les penseurs du courant islamiste à l’instar de l’égyptien Sayyid Qutb ou le Pakistanais Abou A’la Mawdoudi.
«Ces penseurs et la mouvance wahhabite ont trompé l’opinion musulmane. Ils ont dénaturé le sens des vers coraniques pour nous faire croire que l’Islam ordonne à la Oumma d’adopter un Etat Islamique où les religieux gouvernent. Ce qui est faux et mensonger», dénonce le chercheur qui préconise de consulter les travaux de plusieurs penseurs musulmans qui se sont érigés contre la propagande islamiste pour ne pas tomber dans les pièges de ses «mensonges».
Il est à souligner enfin que de nombreux penseurs musulmans à l’image de Mohamed Arkoun (Algérie-France), Fazlur Rahman (Pakistan), Amin al-Khuli (Egypte), Muhammad Khalafallah ( Egypte), Nasr Hamid Abu Zayd (Egypte), Abdelmagid Charfi (Tunisie), ont consacré leur œuvre à la lutte contre l’instrumentalisation politique et idéologique dont l’islam. Comme le firent en leur temps les réformistes (Sayyid Ahmed Khan, Gamal al-Din al-Afghani, Abd al-Rahman al-Kawakibi, Muhammad Abduh, Rashid Rida, Kasim Amin), ces penseurs ont proposé une approche critique en phase avec les progrès des sciences humaines.
Ceci dit, les travaux de ces intellectuels, méprisés et rejetés par les régimes arabes, ont rarement été médiatisés et mis à la portée de l’opinion publique. Aujourd’hui encore, ils sont censurés et bannis des universités des pays arabes.