France : Des étudiants algériens contraints à ne pas travailler

Redaction

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Depuis début novembre, les préfectures et sous-préfectures de Seine-Saint-Denis (région parisienne) ne délivrent plus de titre de séjour aux étudiants algériens qui sollicitent le statut de « salarié » ou « commerçant ». Une situation embarrassante pour près de 2 000 concernés potentiels (Paris-VIII et Paris-XIII), d’autant que les administrations n’ont pas vraiment fourni jusqu’à présent d’explications juridiques claires.

18 novembre 2014, un jour comme les autres. Toufik*, jeune Algérien étudiant en France depuis trois ans, se rend à la sous-préfecture du Raincy (93) pour renouveler son titre de séjour. Alors qu’il ne lui reste que quelques mois avant de soutenir une thèse en linguistique, il souhaite lancer son entreprise de soutien scolaire, et demande le passage du statut « étudiant » à « commerçant ». Une simple formalité. Le début du cauchemar.

Trois semaines après le dépôt de son dossier, il reçoit sans aucune explication une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Abasourdi, il contacte l’administration, qui argue par téléphone d’une « lecture restrictive des textes ». Or, d’après l’Union des étudiants algériens de France (UEAF), le changement de statut demandé est garanti par les accords franco-algériens du 27 décembre 1968, modifiés en 2001, et aucun texte postérieur n’est revenu sur ce droit.

« Ça m’a fait un vrai choc parce que je ne m’y attendais pas du tout », confie Toufik. « J’ai l’impression d’être dans mon bon droit et que ça me tombe dessus arbitrairement. C’est un grand sentiment d’abattement. On ne peut plus faire de projets, sortir ou travailler sereinement. Je ne l’ai même pas dit à mon employeur [le jeune homme travaille dans un restaurant 17h par semaine, comme le lui autorise son statut d’étudiant], ni à mes parents. Je ne veux surtout pas qu’ils s’inquiètent. »

Retourner en Algérie demander un visa de travail

Le soutien, Toufik l’a trouvé auprès de l’Union des étudiants algériens de sa faculté. Ce syndicat, créé en 1993 pour favoriser l’intégration de tous les étudiants étrangers, l’a notamment aidé à trouver un avocat et engager différents recours. L’OQTF, dont le délai est fixé au 11 janvier, est suspendue jusqu’à la tenue du procès.

Le cas de Toufik n’est malheureusement pas isolé : l’UEAF a reçu de nombreuses plaintes de la sorte depuis le mois de novembre. Après avoir pris rendez-vous pour leur changement de statut, plusieurs étudiants se sont vus notifier par e-mail « qu’en application de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié [ils devaient], pour solliciter un certificat de résidence algérien (CRA) en tant que salarié, avoir obtenu préalablement un visa de long séjour en qualité de salarié auprès des autorités consulaires françaises en Algérie. » C’est-à-dire retourner en Algérie pour demander un visa de travail, qui leur permettrait seulement ensuite d’obtenir un titre de séjour valable. « Une démarche qui a peu de chance d’aboutir, surtout après avoir reçu une OQTF », s’indignent les premiers concernés, pour qui cette solution n’est absolument pas envisageable.

« Demain, tous les étudiants étrangers de France sont potentiellement concernés »

L’UEAF a fait part de son incompréhension face à cette série de refus soudains, dans une lettre adressée au Préfet de Seine-Saint-Denis (mise en copie aux ministères de l’Intérieur et de l’Enseignement supérieur). Datée du 24 novembre, elle est restée jusqu’à aujourd’hui sans réponse -contactée à plusieurs reprises, la préfecture n’a pas donné suite à nos appels. Après un communiqué de presse publié avant les vacances de Noël, les syndicats étudiants envisagent désormais de passer à la vitesse supérieure, par l’organisation de sit-in et de manifestations.

« Cette situation injustifiée résulte d’une violation inacceptable de l’égalité de traitement entre les étudiants », s’offusque Akli Oubraham, président de l’UEAF. « Elle découle de l’arbitraire le plus total, puisqu’une simple décision personnelle du préfet permettrait de restreindre un droit pourtant inscrit dans les textes. Aujourd’hui le phénomène ne concerne que le 93, mais demain ce sont tous les étudiants étrangers de France qui sont potentiellement concernés ! ».

Thibault Bluy