La Guerre de libération nationale a été marquée par des épisodes d’une rare violence. Quelques-uns de ces épisodes continuent jusqu’à aujourd’hui à inspirer la douleur et la souffrance à la population algérienne. Celle-ci a vécu des actes de torture, des massacres collectifs et des tueries qui la hantent toujours et nourrissent ses cauchemars. Mais, malheureusement, la nouvelle génération d’Algériens, qui tire sa fierté des exploits héroïques de leurs aïeux, connaît très peu de choses sur ce qu’ils ont réellement vécus. Et pourtant, les récits des Moudjahidine, qui sont encore en vie, sur certains faits, sont accablants ! Retour sur le triste sort des habitants du village Tamassit qui ont terriblement payé le prix de leur vaillante résistance à l’occupant français.
«On a mangé des herbes durant 3 jours, comme des animaux. Nous avons été enfermés par les soldats de l’armée française dans une petite pièce ne dépassant pas 3 mètres carrés pendant cinq jours. Nous étions une quarantaine de personnes entre enfants, femmes et personnes âgées. Nous avons été frappés et menacés de mort si on prenait le risque de s’enfuir de cette maison», témoigne Akli Loudia, un vieux du village Tamassit, situé dans la commune d’Aghribs à Tizi-Ouzou, région d’où est originaire l’illustre Chahid Didouche Mourad.
« C’été au printemps 1960, au mois de mars ou avril. Une patrouille militaire faisait le tour de notre région durant une semaine, et à chaque fois qu’ils arrivent au niveau de notre village, les Moudjahidine les attaquaient. Un jour, ils ont essuyé une grosse perte, et le lendemain, ils ont pris la décision de se venger ! » Témoigne encore Dda Akli, qui avait à l’époque 15 ans. «Un convoi d’environs 200 militaire, armés jusqu’aux dents, a encerclé notre village, juste avant la tombée de la nuit. Les soldats français, accompagnés de Harkis, ont rassemblé tous les villageois dans la placette du village. Ils ont pris la décision d’emprisonner les femmes et les enfants dans cinq maisons. Et pour les hommes, une quarantaine, ils étaient emprisonnés dans une petite pièce de trois mètres carrés, mitoyenne à la mosquée du village. Une pièce réservée habituellement aux étrangers de passage dans notre village, et qui n’ont pas où se loger », raconte encore Dda Akli Loudia.
Parqués dans ces maisons exiguës, les villageois de Tamassit ne savaient pas quel sort l’armée française était en train de leur réserver. La nuit tombée, ils entendent des rafales et des bombardements dans les alentours du village. Les portes des cinq maisons ont étaient bloquées par les militaires avec des troncs d’arbres et de grosses pierres. Impossible de sortir dehors. À l’intérieur de ces maisons, des femmes âgées, des enfants en bas âge, mais aussi des parturientes.
Affamer pour punir
« Il y’avais une petite sortie dans la maison où j’étais emprisonné. Les militaires français ne se sont pas rendus compte. J’ai réussi à sortir par cette petite porte, mais je ne pouvais pas aller loin, car les militaires s’étaient installés juste à côté de la maison. Je sortais juste à côté de la maison pour ramener des herbes pour nous nourrir. Et par chance, il y avait aussi une petite source d’eau au même endroit. Donc je m’approvisionnais pour tout le monde » se souvient Dda Akli.
Si dans la maison où était emprisonné Dda Akli, ils trouvaient un moyen, même au péril de leurs vies, de manger des herbes et boire de l’eau, dans les autres maisons où étaient emprisonnés les autres villageois, i n’y avait aucune autre issue de secours. Les femmes savaient qu’il y avait des parturientes et d’autres femmes malades qui risquaient de mourir. « Au bout de trois jours, la situation était devenue insupportable. On avait commencé à creuser un trou pour rejoindre la maison d’à côté, mais on n’avait plus de force pour poursuivre nos efforts». A un moment de la journée, le bruit une rafale qui faisait irruption non loin de la maison avait mis fin au silence angoissant. Des bruits devant la maison, et la porte qui s’ouvrait. C’était Nna Hasni, une jeune femme qui était emprisonnée dans la maison mitoyenne à celle de Dda Akli. Elle avait réussi à s’échapper, franchir le mur de la courette et ouvrir la porte. Les militaires français l’avaient vue. Fort heureusement, leurs tirs et leurs balles ne l’avaient pas touchée. Une minute après, les militaires ont cassé la porte de la courette pour retrouver toutes les femmes et enfants. Un Harki qui porte le nom de Belaid pris la parole au milieu des soldats français et demanda nerveusement l’identité de la femme qui avait fui de l’autre maison. «Sans hésiter une seconde, et sans aucune peur, Nna Hasni lève sa tête et lui dit que c’est elle. Le Goumi lui demanda alors pourquoi elle a fait tout cela. Elle répond que c’est sa maison, et qu’elle n’a fait que rejoindre sa demeure. Le Harki a sauté sur elle pour la rouer de gifles, de coups de poings et coups de pieds », raconte Dda Akli.
Nous avons tenté, durant notre déplacement à Tamassit, d’avoir le témoignage de Nna Hasni Ighil Ali qui est encore en vie, mais le fait d’évoquer cette période de sa vie, du haut de ces 85 ans, la trouble encore et met en péril son état de santé. Mais elle nous informera que le Harki qui l’avait battue a été dépêché par l’armée française spécialement à Tamassit pour venger ses fils tués par les Moudjahidine.
« Par la petite fenêtre de la maison où nous étions, nous pouvions voir les militaires français dans la cour de la mosquée, où étaient emprisonnés les hommes du village. Au moment où nous crevions de faim, on les voyait égorger nos bœufs et chèvres, les rôtir au feu et les manger », se souvient toujours Dda Akli.
La torture : tuer à petit feu
Le grand drame était vécu par les hommes du village qui étaient emprisonnés dans la pièce mitoyenne à la mosquée. La porte de cette pièce de trois mètres carrés était fermée avec des pierres, et sa fenêtre scellée de manière à ce qu’il n’y ait même pas un rayon de lumière qui puisse éclairer les prisonniers. En tout, 42 hommes sont enfermés dans cette pièce. Durant ces cinq jours, ces hommes avaient subi les pires techniques de tortures. Chaque jours, un groupe était sélectionné et un par un, les hommes du village étaient introduits dans une autre maison située à côté de la mosquée, là où des militaires français avaient installé un centre de torture. Au bout de cinq jours, les militaires français qui n’avaient rien obtenu comme renseignement sur les Moudjahidine du FLN décident de quitter le village sans libérer les otages. « Quand on avait ouvert la porte de la pièce où se trouvaient les hommes, ils ne nous avaient pas reconnu. La majorité ne savaient même pas où ils étaient. Comme si qu’ils voyaient du monde pour la première fois. La faim et les tortures qu’ils avaient subies les ont rendus inconscients de tout. Il leur avait fallu plusieurs jours pour reprendre conscience», nous dira Dda Mhena, un vieux originaire du même village.
« Les militaires français, aidés par des Harkis, ont tué plus d’une centaine de chèvres, une vingtaine d’ânes, et une quinzaine de vaches, durant cette opération. Même les chats n’ont pas échappé à la sauvagerie des soldats français. Ils ont exterminé tous nos cheptels. Le lendemain, on a jeté les cadavres des animaux à proximité du village, et c’est là que j’ai vu, pour la première fois de ma vie des aigles. Ils sont venus de loin, et pour la première fois dans notre village, pour manger les cadavres de nos bêtes », conclut tristement Dda Akli Loudia.
Arezki IBERSIENE