L’équipe de Jumia n’a pas attendu le lancement de l’e-paiement en Algérie pour ouvrir sa boutique en ligne, sur le modèle du géant américain Amazon. En l’espace de quelques mois seulement, ces jeunes entrepreneurs sont en train de s’imposer sur la toile algérienne. Reportage.
Imaginez un immense centre commercial où tout produit serait disponible à portée de clic. C’est dans une villa du quartier d’El Biar, sur les hauteurs d’Alger, que la révolution du mode de consommation des Algériens se prépare. Au sous-sol, le garage a été aménagé en service de livraison. Au tour d’une table, trois jeunes hommes emballent la marchandise et l’entreposent sur des étagères blanches. Du matériel informatique, essentiellement, prêt à être expédié au client. Quelque part dans l’une des 41 wilayas desservies par Jumia Algérie, le premier portail d’e-commerce du pays. « On ne livre pas encore les régions de l’extrême Sud pour des raisons de logistiques. Une fois qu’on aura consolidé notre service sur les 41 wilayas où nous officions, nous pourront nous permettre de nous étendre à tout le pays », précise Mohammed Touil, gérant du site web « dz.jumia.com« . La commande est livrée sous dix jours, lit-on sur les conditions d’achat. « On veut réduire ce délai. À Alger, un quart des commandes est dorénavant livrée le jour-même », se réjouit Mohammed Touil.
Esprit start-up
Au deuxième étage, les cartons ne sont pas tous défaits, la décoration spartiate. « Ne faites pas attention au désordre, on s’est s’installé ici il y a à peine deux mois », raconte Mohammed Touil, qui partage son bureau avec deux collaboratrices. « J’aime être au coeur de mes équipes », glisse le responsable de 27 ans, basket bleues et chemise à carreaux déboutonnée, portée sur un T-Shirt. Au tour de lui, la moyenne d’âge n’excède pas 25 ans. Jumia Algérie compte 18 salariés. Ils n’étaient encore que cinq, sept mois plus tôt.
La jeune équipe partage la villa d’El Biar avec celles de HelloFood (livraison de repas commandé en ligne) et de Lamudi (site Internet spécialisé dans l’immobilier). Des start-up lancées, tout comme Jumia, il y a moins de trois ans sur le marché africain, par l’incubateur allemand Rocket Internet.
Une clientèle déjà fidèle
Présente dans douze pays du continent noir, dont l’Egypte, le Nigeria et le Maroc, la plateforme de commerce Jumia s’est rapidement imposé comme le numéro un des détaillants sur Internet en Afrique. Depuis le 28 janvier dernier, une version algérienne existe. Drôle de défi dans le pays l’e-paiement n’est toujours pas autorisé ? « Ce n’est pas une barrière. Même dans des pays avec une culture de la carte bleue, comme l’Egypte ou le Nigeria, moins d’une commande en ligne sur dix est payée en ligne. Ce n’est pas pour rien que des systèmes de paiement sur Internet sécurisés ont été développés », explique Mohammed Touil. Pour ce diplômé de l’Université Paris Dauphine en économie et gestion, le mode de paiement par crédit téléphonique, le mobile payment, devrait d’ailleurs davantage séduire les consommateurs algériens que l’e-payment. Le procédé a été introduit par Jumia en Côte d’Ivoire. L’Algérie n’y pense pas encore.
Faute d’alternative, les acheteurs algériens règlent leur commande à la livraison et en liquide. « Pour la période de lancement du site, les frais de livraison sont gratuits au-delà de 3.000 DA d’achat et de 200 DA pour un montant inférieur », précise le jeune directeur.
Des fours, des tablettes, des téléphones, des vêtements, des jouets pour enfant… En tout, plus de 3.000 produits sont répertoriés sur le site Internet de Jumia Algérie. « On a commencé par l’électroménager, l’informatique et la téléphonie avant de proposer aussi du prêt-à-porter, des livres et des parfums. Pour le moment, on a, au total, dix catégories de produits. Le site comptera 20.000 références d’ici la fin d’années », Mohammed Touil, qui envisage d’ouvrir une catégorie pour des produits alimentaires. Objectif : faire de Jumia le plus grand centre commercial d’Algérie. « Nous n’avons pas d’espace limité, c’est l’avantage d’un commerce virtuel. Il y aura bientôt plus de choix sur Jumia qu’à Bab Ezzouar« , lance le jeune entrepreneur.
Et des Algériens en sont déjà adeptes. « Plusieurs dizaines de commandes » sont enregistrées chaque jour, avec un pic à une centaine durant le week-end, souligne Serine, 23 ans, responsable du service client. « Après chaque commande, j’appelle systématiquementle client pour vérifier l’adresse postale et les délais de livraison. Parfois je les aide moi-même à modifier leur commande », dit la jeune femme, en tapotant sur le clavier de son ordinateur portable. Elle s’interrompt pour répondre à l’un de ses trois téléphones. Au bout du fil, un client, qu’elle salue par son nom. « J’ai enregistré le numéro de certains clients fidèles », confie Serine. Selon la jeune responsable, un tiers de ceux qui passent commande a déjà fait des emplettes sur le site Internet de Jumia Algérie.
L’intérieur du pays en raffole
Si un quart des commandes provient d’Alger, Jumia fonctionne surtout dans les régions isolées du pays, dépourvues de grande surfaces. C’est le cas notamment des hauts plateaux, comme à Khenchela, Batna et Sétif, et dans le Sud, à Ouargla, Hassi Messaoud et Touggourt, où faire du shopping sur Jumia est en train de devenir un réflexe.
Malgré tout, l’équipe n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. « On a encore 20% de refus au moment de la livraison. Dans la plupart des cas, le client n’a pas suffisamment d’argent sur lui », raconte Sirine, les yeux rivés sur son écran. À quelques encablures, Mohammed Touil renchérit : « On fait aussi face à des fausses commandes, des commandes-test pour vérifier que le site Internet est sérieux. À la livraison, le client n’en veut pas, le colis repart chez nous et on rend la marchandise au fournisseur. Ça rajoute de la complexité à la gestion des commandes. »
Comptant moins de 20% d’habitants connectés à Internet, l’Algérie est connue pour avoir l’un des taux de pénétration les plus faibles au monde. Réduit, le marché algérien est toutefois prometteur. « Il représente tout de même 8 millions d’acheteurs potentiels. Ce n’est pas négligeable », considère Mohammed Touil. Et avec le développement de la 3G sur le territoire national, le commerce en ligne « représente l’avenir », conclut le jeune entrepreneur.