Repère des Algérois, et repaire des habitants de Télemly. L’Aéro-Habitat, est un véritable quartier dans un quartier qui abrite des milliers d’âmes et d’anecdotes fascinantes. Qu’est devenue cette citée réalisée dans les années 50 ?
Il est imposant ce géant de béton. Dur de l’extérieur, et tendre de l’intérieur. C’est sans doute la meilleure définition et même portrait que l’on peut faire de l’Aéro-Habitat. Oui, cet immeuble pourrait presque être personnifié, tant il est animé par ses habitants. On les croise dans les commerces du 10e étage, dans les couloirs ouverts offrant une vue imprenable sur la mer ou sur les hauteurs d’Alger. Ses habitants ont créé une famille, celle des locataires d’un village suspendu.
Composé de 4 bâtiments et 300 appartements, l’Aéro-Habitat n’est pas seulement une cité, mais un village, qui s’est malheureusement éteint au fil des années. Si les nombreux habitants de cet immeuble lui permettent de conserver son identité, ce qui faisait la particularité de cette habitation s’efface petit à petit. Moins de commerces, des façades qui ternissent, des recoins abandonnés et grignotés par le temps, le charme de la cité s’estompe au grand regret des propriétaires et locataires. Et pourtant ces quatre tours de béton sont au cœur de l’urbanisme algérien et sans aucun doute l’un des quartiers les plus réputés de la Capitale.
De l’immeuble innovant…
Particulier, c’est le moins que l’on puisse dire. L’immeuble conçu par des disciples de l’architecte Le Corbusier cache non seulement des histoires intrigantes mais également une organisation intéressante. Ce ne sont pas seulement des appartements qui composent le géant de béton mais également quelques commerces, qui font l’identité du quartier, le boucher, la coiffeuse, le plombier. Ils sont nombreux à faciliter la vie des habitants, et parfois même celles des Algérois du Télemly. Ils sont nombreux à monter jusqu’au 10e étage pour acheter leur viande fraîche, et profiter du savoir-faire du salon de coiffure. Cette galerie est rapidement devenue le point de rencontre des Algérois dans les années 60-70, mais au fil du temps les commerces se sont faits rares, l’activité de l’immeuble s’est étiolée. Pourtant, il a connu une période faste. Les commerces étaient variés, « à l’époque nous pouvions tout faire sans même sortir de l’Aéro-Habitat, il y avait les commerces de base, une garderie pour les enfants, un parking », raconte Fouad Snouci, membre du bureau de l’association des résidents de l’Aéro-Habitat.
Désormais l’immeuble est moins animé mais a trouvé d’autres ressources. Sa place centrale dans Alger, lui permet de générer des revenus grâce à ses panneaux publicitaires géants qui sont loués à des marques ou encore « aux antennes relais d’opérateurs téléphoniques mis en place sur le toit», explique Fouad Snouci. Et d’ajouter, « ces activités sont une source importante d’argent pour l’immeuble qui permet de tenir debout grâce à ces ressources. Elles ont d’ailleurs permis de rénover des ascenseurs qui ne fonctionnaient plus», facilitant ainsi la vie des habitants des étages supérieurs.
… à l’immeuble désuet
En dépit de ces astuces, la cité n’est plus radieuse, au contraire. Les années sont passées et le confort de l’immeuble a commencé à s’effacer. Vitres cassés, hall dégradé et squatté, problème d’infiltration, et problème d’insécurité sont devenus les maux de l’Aéro-Habitat. Cet immeuble autrefois habité par les classes aisées perd chaque année de sa valeur. Si les habitants prennent soin de leur intérieur, ils ne peuvent pas ou ne veulent pas assumer la gestion de l’extérieur. «Lorsque L’OPGI a quitté le bâtiment, la notion de propriété privée est apparue, mais le principe de copropriété n’a pas suivi, il était compliqué pour beaucoup d’habitants de comprendre que le devenir de l’immeuble entier était de leur ressort. » Attendre de l’Etat un geste était vain. Et c’est sans doute ainsi que l’Aéro-Habitat s’est distingué, en mettant en place cette association qui est censée gérer ces tracas de la vie quotidienne.
Toutefois, l’association ne peut pas être partout. Elle et sa brigade un peu spéciale : les agents d’entretien des bâtiments, tentent tant bien que mal de garder ces couloirs sans fin vivables. L’équipe assure l’entretien et même la gestion de l’ascenseur payant, un véritable transport en commun dans ce quartier. Du matin au soir, de 7 H à 23 H, l’équipe composée essentiellement de migrants subsahariens se relaie pour surveiller et récolter le paiement de l’ascenseur, ou pour nettoyer et garder dans un état décent les espaces en commun. Logés dans les immeubles de l’Aéro-Habitat, ils ne sont pas rémunérés malgré un travail de longue haleine, ils touchent un pourcentage sur les revenus de l’ascenseur et doivent trouver d’autres sources de revenus. Cette équipe de 5 hommes, d’origine malienne et camerounaise, se démène pour garder en vie l’habitation, malgré la charge de travail.
Si la propreté est assurée et quelques murs sont repeints, les gros problèmes ne peuvent être réglés qu’à coups de pinceaux. L’insécurité est un problème majeur pour les résidents, qui regrettent le temps où cette cité était paisible et calme. « Auparavant on pouvait rentrer tard, après minuit, maintenant à la nuit tombée, je demande à mon mari de venir me récupérer en bas de l’immeuble », confie Karima, propriétaire dans le principal bâtiment depuis 8 ans. Désormais la crainte domine, les résidents se plaignent même de la présence de trafiquants de drogue que les policiers n’ont jamais délogés. Même le personnel masculin n’est pas rassuré, l’un d’entre eux a déjà reçu un coup de couteau au visage alors qu’il était de permanence dans l’ascenseur.
De plus, les appartements souffrent de plus en plus de problèmes d’étanchéité, les fuites d’eau sont courantes. Le gaz et l’électricité présentent également quelques failles, à cause du temps. De telle sorte qu’un important incendie s’était déclenché il y a quelques mois dans la cage d’escaliers. Il n’y a pas eu de blessés, mais cet épisode a créé une scission entre les habitants et l’association, à qui ils ont reproché de ne pas avoir bien réagi le jour où les flammes ont ravagé une partie de l’immeuble historique. Les Algérois de ce quartier ont tourné la page, mais la communication semble être rompue entre le bureau de l’association et certains habitants, ce qui ralentit des projets d’amélioration de la cité la plus célèbre d’Alger.
La famille Aéro-Habitat
En dépit des différends, l’harmonie reste la règle dans le quartier entre les habitants. Jeunes ou âgés, nouveaux ou anciens résidents, tous, disent trouver un «bien-vivre», dans l’Aéro-Habitat. Si dans le passé, sa particularité reposait sur son architecture imposante, désormais c’est sans aucun doute ses habitants qui le rendent unique…
« Au départ je n’aimais pas beaucoup cette vie communautaire, mais avec le temps j’ai compris que c’était la richesse du lieu. Nous avons vécu un drame avec mon mari et tous nos voisins étaient là pour nous aider », raconte Karima. La plupart des habitants de l’Aéro-Habitat connaissent par cœur cet immeuble, ils y ont vécu des années, voire des décennies et parfois ils sont même nés dans cette gigantesque maison. « C’est chez nous, nous sommes sommes nés ici, et on est bien parce que la mentalité des habitants est ouverte, elle est « à la française » vous comprenez ? », explique un jeune de 20 ans habitant le 20e étage.
« Tout le monde me connaît ici, dans l’Aéro-Habitat et maintenant même dans Télemly. C’est une autre famille que je me suis faite, c’est pour ça que je suis resté tant d’années ici, sinon je serais reparti» confie également Hippolyte, l’un des agents de service de l’immeuble. Ce natif du Cameroun a migré il y a 8 ans en Algérie, il a tout laissé dans son pays pour travailler à Alger, et dès son arrivée il a intégré l’équipe de l’Aéro-Habitat. Ainsi, il est parvenu à construire son foyer grâce au voisinage. Malgré quelques mots durs et remarques frôlant le racisme, essentiellement « d’étrangers qui empruntent occasionnellement l’ascenseur », Hippolyte, répond simplement par un sourire, la vie est trop courte pour se soucier de la haine des autres, assure-t-il. Hippolyte préfère se contenter de cet esprit familial et préfère ne voir que le positif. Même si ses conditions de vie ne sont pas parfaites et qu’il n’a pas « atteint le bonheur », il estime avoir une « vie stable » et des gens qui l’apprécient. C’est l’essentiel pour lui.
Et l’avenir ?
Que vont devenir ces tours centrales dans Alger. Prévues dans un plan de rénovation, géré par la Wilaya, l’Aéro-Habitat peut-il réellement espérer revivre un âge d’or ? Pas si sûr car le chantier ne semble pas être à l’ordre du jour. De son côté, l’association des résidents promet de réaliser plusieurs projets pour faciliter la vie de ses habitants comme la création d’un parking, des travaux dans le hall, le renforcement de l’étanchéité, ou encore le fleurissement de cette cité devenue si froide. Enfin le point essentiel est le retour de la sécurité pour réellement se sentir chez soi. Les espoirs sont nombreux et les co-propriétaires gardent confiance. Et même si l’état de l’immeuble ne s’améliore pas, l’essentiel c’est d’être en famille !