La recrudescence des accidents de bus et de poids lourds oblige à se questionner sur les dysfonctionnements de la sécurité routière en Algérie. Le dernier en date, dans la wilaya de Laghouat, a fait 16 morts et près d’une cinquantaine de blessés dans la collision de deux véhicules de transport en commun. Nous sommes allés à la rencontre des chauffeurs de bus, associations d’auto-école et association de victimes pour tenter de comprendre la cause de ces trop nombreux accidents.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Une répartition par catégorie de véhicules dans les accidents de la route montre que les camions, bus et autocars sont impliqués à hauteur de 28% dans la totalité des accidents, alors même que leur nombre ne dépasse pas 10% du parc automobile en circulation, selon un rapport récent de la Gendarmerie nationale. Ainsi, en 2013, les véhicules de transport en commun et de marchandises ont été impliqués dans 7857 accidents, causant 1470 décès et 15352 blessés.
Comment expliquer la recrudescence de ces accidents dans un pays où la réglementation routière est réputée pour son aspect répressif ? Entrée en vigueur en 2009, la réforme de la sécurité routière prévoit ainsi des amendes de 2000 à 6000 Da pour des délits mineurs, des retraits de permis pour ces mêmes infractions et de sévères peines de prison pour des homicides involontaires ayant été provoqués par de telles infractions. Les conducteurs de bus et de poids lourds ne sont-ils pas assez formés? Ou le problème est-il à chercher du côté des sociétés de transport qui n’assumeraient pas leurs responsabilités ?
Des formations réglementées
Dans ce débat sur la cause des accidents de la route, les auto-écoles sont souvent accusées de ne pas assez former les conducteurs ou d’accorder les permis de conduire trop facilement. Une critique à laquelle M. Rabhi, président de l’association des auto-écoles de Tizi-Ouzou a l’habitude de répondre. «Les formations de conducteurs de bus et poids lourds sont très réglementées. Pour passer un permis C (poids lourds) ou D (transport en commun), il faut déjà avoir un permis B (véhicules légers) depuis 2 ans et avoir au minimum 25 ans. Il y a 15 heures de formation théoriques et 20 heures de conduite, sanctionnées ensuite par 3 examens, théorique, pratique et de circulation. En fonction de l’aisance du chauffeur au volant, les épreuves du permis C et D peuvent se dérouler au minimum en 45 jours». Une formation suffisante pour prendre le volant d’un bus ou d’un poids lourds ?
Lounès, un chauffeur de bus assurant la navette Tizi Ouzou-Alger explique qu’un jeune conducteur de transport en commun n’est pas lâché dans la nature directement après avoir eu son permis. «Le jeune conducteur est initié par un chauffeur expérimenté en plus de la formation qu’il reçoit dans une auto-école. Dans un premier temps, le conducteur novice est chargé de garer le bus et de faire de petites distances. Car conduire avec des dizaines de voyageurs à son bord est une lourde charge et un métier qui ne s’improvise pas» ajoute-t-il.
La formation des conducteurs ne seraient donc pas en cause dans la recrudescence des accidents de poids lourds et de transport en commun. «Ce n’est pas un manque de connaissance des conducteurs : moi je vois des élèves qui conduisent parfaitement bien à l’auto-école, qui respectent les limitations de vitesse, qui sont dociles avec le maître d’auto-école, tout ça pour avoir leur permis. Puis une fois leur permis en poche, ils deviennent de véritables chauffards» témoigne M. Rabhi, le président de l’association des auto-écoles de Tizi-Ouzou.
L’irresponsabilité de certaines sociétés de transport
Le problème serait-il alors à chercher du côté de l’embauche des conducteurs de bus? Interrogé pour savoir comment se font les recrutements des conducteur de bus, Amar, gérant d’une société des transports à Tizi Ouzou, explique que le marché des conducteurs de bus est un petit monde. «On se connaît tous : on sait qui est un bon chauffeur et conduit de manière responsable et professionnelle. Mais on sait également qui sont les mauvais chauffeurs, ceux qui ne respectent pas les limitations de vitesse et ne se cassent pas la tête pour la sécurité de leurs voyageurs ». Amar pointe la responsabilité dans les drames routiers de certaines sociétés de transport qui embauchent des chauffeurs peu respectueux du code de la route. « Il y a des patrons de société de transport honnêtes, pour qui la sécurité du voyageur et l’état de leurs bus passent avant tout. Malheureusement, il y en a aussi qui sont obnubilés par l’argent et n’engagent que des chauffeurs qui roulent très vite. Ils se soucient moins de la sécurité de leurs voyageurs, et des règles de la conduite, pourvu que l’argent rentre à flot » déplore-t-il.
Pour Fethi, un chauffeur de bus rencontré à la gare routière «Caroubier» d’Alger, c’est l’absence de loi sur les longues distances qui nuit à la sécurité des transport en commun: «Il y a des patrons qui emploient deux ou trois chauffeurs pour les très longues distances» «Mais d’autres patrons préfèrent en employer un seul pour se faire des marges plus importantes au détriment de la santé du chauffeur et de la sécurité des passagers», regrette-t-il.
Une réglementation peu appliquée et un manque de sanctions
«Si on veut résoudre le problème des accidents de la route, il faut qu’il y ait une omniprésence de la loi et des sanctions financières» argumente Amar Zemouche, un examinateur travaillant pour la direction des transports. «Il faut une application sévère. Ça fait des années que nous demandons la présence de véhicules banalisés en tout lieu et à toute heure pour traquer les chauffards » assène-t-il.
Les associations de victime partagent le point de vue d’Amar Zemmouche. Pour Flora Boubergout, la présidente de l’association nationale de soutien aux handicapés « El Baraka », c’est le problème de l’application des règles de sécurité routière qui est en cause. « Nous sommes un pays très réglementé mais nous ne nous donnons pas les moyens pour appliquer ces règles. Mon souhait est que nul ne soit plus au dessus des règles de la République et qu’il y ait une tolérance zéro en termes de sécurité routière. Il en va de la vie humaine ». Elle ajoute : « Il faut sanctionner sévèrement pour faire des exemples. Nous revendiquons l’installation de chronotachygraphe (mouchards) sous les bus pour que les conducteurs aient des comptes à rendre, et la mise en place des permis à points. »
«Toutes les statistiques montrent bien que 90% des causes des accidents de la route sont humaines » argumente M. Rabhi. «Certes, il y a des problèmes techniques, mais c’est un pourcentage mineur. Pour diminuer les accidents de la route, c’est une révolution au niveau des comportements des gens qu’il faudrait faire. Le civisme devrait s’apprendre bien plus tôt, dès la primaire. Arrivé à l’auto-école, il est trop tard !».
« La sécurité routière est une responsabilité collective, un problème qui nous concerne tous, car nous sommes tous des usagers. La société civile doit se mobiliser pour faire changer les choses. » conclut Flora Boubergout.
Arezki Ibersiene et Agnès Nabat