Des ruelles sombres et étroites, un bouge grouillant comme une fourmilière, tels étaient mes fantasmes de la Casbah d’Alger, toile de fond de nombreux films français. Pour le côté tortueux et labyrinthique, la Casbah reste fidèle à son mythe. Mais contrairement aux idées reçues, le plus vieux quartier d’Alger fait aujourd’hui figure de belle endormie.
Des maquettes de la Casbah avec des allumettes
Par chance, c’est un natif de la Casbah qui nous a guidés dans le dédale algérois. A défaut de connaître l’histoire de son quartier sur le bout des doigts, Kader le bavard se promène d’escalier en maison, de ruelle en terrasse comme chez lui, saluant le moindre des habitants avec un naturel désarmant. Tout de jean vêtu malgré l’étuve, cet algérois a quitté le quartier de son enfance mais continue d’y emmener les touristes depuis une quinzaine d’années. « Je confectionne même des maquettes de la Casbah avec des allumettes, je vous montrerai tout à l’heure ! » ajoute-t-il avec un clin d’œil. Je l’écoute à peine. Essoufflée par la montée qui n’en finit plus, je suis tant bien que mal sa casquette noire de Capitaine haddock qui crapahute dans les étages.
S’élever dans les hauteurs de la Casbah, c’est quitter la circulation étouffante d’Alger-centre, s’évader des bousculades de la basse Casbah. C’est passer d’une fontaine inondée de lumière à un passage inquiétant, surplombé de poutrelles précaires. C’est tomber sur une table d’écolier laissé à l’abandon en plein cagnard.
Trois garçons jouent aux billes sur le sol blanc d’une courette fissurée, d’autres se poursuivent en criant dans une ruelle en pente. Les gamins ont pris le pouvoir ; les adultes ont déserté la Casbah ou restent terrés comme des ermites derrière leurs portes silencieuses. Seuls les artisans pointent le bout de leur nez, quand ils ne se cachent pas dans leurs minuscules ateliers. On passe voir Reda le peintre sur bois de la rue Sidi Mohammed Cherif. Sa forte carcasse coincée entre pots de peinture et miroirs orientaux, cet artiste au regard doux nous parle de son travail avec plaisir. La Casbah regorge de petits artisans comme lui, cordonnier, menuisier, tisserand ou orfèvre du cuivre. Autant de savoir-faire qui ont disparus des grandes villes et participent à l’atmosphère si particulière d’une Casbah figée dans le temps.
En attendant les rénovations
Un temps justement, qui la grignote chaque jour un peu plus et contre lequel elle doit irrémédiablement se battre. La seule présence de Kader nous ouvre les portes muettes des maisons. Derrière leurs murs décrépis, nous trouvons des habitants las de vivre dans des refuges millénaires qui n’attendent que le prochain tremblement de terre pour s’écrouler. Après un tour du propriétaire et un passage sur sa terrasse à la vue époustouflante, un homme en qamis nous montre avec dépit les arcades effritées de son patio. Oui, lui et sa famille souhaiteraient s’en aller maintenant. La meilleure vue du monde ne rachètera pas les années qui pèsent sur sa demeure en ruine.
Ça crève les yeux, ces résistants aiment leur Casbah, mais ils attendent des rénovations. Khaled le menuisier, une petite célébrité dans ce quartier aux milliers d’habitants, regrette que les travaux entrepris par l’Etat dans sa maison-atelier ne soient toujours pas terminés. « J’ai toujours vécu ici, j’ai appris à travailler avec mon père ». Lui aussi a une vue à couper le souffle, de son toit. La plus belle d’Alger, ai-je entendu dire. « Mais vous voyez, le sol n’est pas étanche, on attend toujours les travaux » répète-t-il le regard fatigué.
« Je ne me sentais plus chez moi dans la Casbah »
Ferkoii, lui, a franchi le pas et quitté le quartier dans lequel il a grandi. « A quoi bon ? Je ne me sentais plus chez moi dans la Casbah, c’est pour ça que j’ai décidé de partir ». Bonnet noir vissé sur la tête, ce vieil homme au visage buriné n’est pas peu fier d’avoir participé au film « El gusto ». Photos, souvenirs de pacotille ; son atelier situé aux portes de la Casbah garde les traces de ce tournage qui l’a mené au bout du monde. « Paris, Montréal, c’était la belle vie, on a dormi dans les plus grands hôtels ! » se rappelle-t-il, les yeux rieurs. Mais aujourd’hui, il préfère la solitude de sa petite boutique aux ruelles escarpées d’un quartier qu’il ne reconnaît plus.
Casbah la chamarrée, Casbah l’insalubre, Casbah la bohème. Avec ses boîtes d’allumette plantées sur les collines d’Alger, en équilibre les unes sur les autres, ce quartier incroyable ne manque pas d’évoquer Valparaiso, la ville-muse de Pierre Loti sur la côte chilienne. A la différence près que Valparaiso s’escalade en funiculaire. La Casbah reste un paradis perdu qui se mérite.