8 mars: Les Algériennes aux avant-postes de la « révolution verte »

Redaction

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Dans le cadre associatif, administratif ou d’une entreprise privée, elles sont partout. Ces dernières années, les Algériennes ont investi dans l’économie verte ou le développement durable, de façon notable. Décryptage.

Hors de l’eau, elle le dit elle-même, elle ne respire plus. Les cheveux clairs, parsemés de blanc, la peau dorée, Samia Balistrou, 53 ans, une vie passée dans les profondeurs de la mer Méditerranée. Dans les fonds marins du monde entier, elle est connue pour être la première maghrébine à avoir pratiqué la plongée sous-marine à haut niveau. Samia, Algéroise de naissance, Tipazienne de cœur, a sauté dans le grand bain au début des années 1980. À l’époque, « à travers le monde, la plongée pour amateurs ou professionnels était réservée aux mecs », se souvient-elle. C’est, d’ailleurs, dans une combinaison conçue pour homme que Samia a effectué son baptême et a passé son monitorat en France. « Aujourd’hui, c’est différent, les équipementiers pensent aussi aux femmes et leur confectionnent de jolies tenues », sourit Samia.

En toute femme, sommeille une « sirène »

Propriétaire du club de plongée « Under sea », installé dans le complexe touristique « La Corne d’Or » à Tipaza, Samia Balistrou forme depuis 27 ans de « nouveaux ambassadeurs de la mer ». Au sein de la relève, une majorité de filles. « J’ai en moyenne une vingtaine de filles inscrites à l’année, d’autres, originaires de l’intérieur du pays, comme Tiaret, viennent de façon ponctuelle », se réjouit Samia Balistrou, convaincue qu’en toute femme, sommeille une « sirène ». « Ces filles me font confiance parce que je suis la pionnière dans ce domaine et aussi une femme mariée », pense-t-elle.

Aujourd’hui, une Algérienne au caractère bien trempé comme Samia, et à la détermination implacable, n’est plus ce spécimen étrange, épié, parfois malmené, par le sexe opposé. « Il ne faut pas garder en tête l’image passéiste de la femme algérienne. Ce n’est plus comme avant où les femmes restaient toutes au foyer et les rares à travailler étaient infirmières ou enseignantes. Elles réussissent dans tous les secteurs, notamment le développement durable et l’économie verte », affirme Leïla Chelfi, directrice de la Maison de l’Environnement de Tipaza. Elle en veut pour preuve la domination des Algériennes dans les services publics pour l’environnement. « Sur 48 wilayas, une trentaine de Maison de l’Environnement sont gérées par des femmes, comme à Annaba, Biskra, Batna. Elles sont présentes jusqu’au poste à responsabilité du ministère. Inutile de rappeler que l’actuelle ministre de l’Environnement est une femme ! », lance cette militante écologique, qui se dit convaincue qu’au sein des services administratifs pour l’environnement la parité est respectée. Pour elle, tout est une question de caractère. « Quand les femmes ont un idée en tête, elles font tout pour la concrétiser », estime Leïla Chelfi.

Amina, l’Algérienne qui recycle l’algue 

De la ténacité, Amina Boumaour en fait preuve dans son quotidien. Fraîchement diplômée de l’Ecole nationale supérieure des sciences de la mer et de l’aménagement du littoral d’Alger (ENSSMAL), à 24 ans, Amina est une jeune entrepreneure en économie verte. En partenariat avec une camarade de promotion, cette doctorante en gestion et prospective du littoral poursuit un « rêve » : transformer les produits de la mer. « Il y a tellement d’espèces à valoriser, certaines n’existent que sur notre littoral », dit-elle, les yeux pétillants. Pragmatique, elle s’attaque au recyclage d’une espèce en particulier « pour commencer, l’algue ». « Un produit miraculeux qui n’est pas encore exploité chez nous », explique-t-elle. Son objectif : devenir « le premier fournisseur d’algues séchées aux industries agroalimentaires, diététiques, pharmaceutiques, etc. ». « Cela ne nécessite pas une mécanique lourde, on peut produire de grandes quantités de façon artisanale ». Démarches administratives, montage économique auprès de banques, essais biologiques… Le projet des deux étudiantes de l’ENSSMAL prend sérieusement forme à l’incubateur de Sidi Abdellah. « On ne rencontre pas de difficultés particulières parce que nous sommes des filles. Au contraire, dans l’entreprenariat c’est presque un atout. Il suffit d’être une bonne oratrice pour que ce soit presque dans la poche », confie-t-elle, le sourire en coin.

Pour cette jeune entrepreneure en économie verte, l’organisation sociale algérienne est telle qu’elle accorde plus la liberté aux filles d’essayer de nouveaux domaines d’activités. « Les étudiantes algériennes peuvent se permettre de tenter des spécialités « bizarres » car elles ne sont pas obligées, contrairement aux garçons, de trouver un travail tout de suite après les études. Le poids de la société est plus lourd pour eux qui, une fois le service militaire accompli, doivent saisir la première offre d’emploi qui se présente, même si ce n’est pas dans leur domaine de compétence parce que les garçons ont un avenir à construire, une maison à bâtir », considère Amina Boumaour. Ce qui explique en partie, d’après elle, pourquoi les Algériennes sont plus nombreuses dans les laboratoires de recherches scientifiques.

Dans un pays où le pétrole est roi, difficile pour ces Algériennes, soucieuses de l’empreinte écologique qu’elles laisseront derrière elle, de s’épanouir complètement. Tandis qu’Amina Boumaour lutte avec le monstre bureaucratique pour arracher une concession de terrain, où installer sa petite entreprise, Samia Balistrou erre à Tipaza comme une « SDF », depuis presqu’un an. Le complexe de la Corne d’Or a été fermé pour cause de travaux de restauration le printemps dernier, le local où elle a entreposé son matériel de plongée est inaccessible depuis. La gorge nouée, Samia Balistrou lâche : « Au bout de 27 ans, je devrais diriger un centre de plongée international. Ici, j’arrive à former des Européens. Au lieu de cela, je suis ballottée à droite à gauche. Si je ne replonge pas avec mes élèves, je vais dépérir ».

 « Le ballet de poissons que je pouvais admirer pendant des heures à mes débuts a disparu »

Celle qui a tenu tête aux terroristes durant les années 1990, est consciente qu’il va falloir une nouvelle fois faire preuve de persévérance. Son centre fermé, cette championne de la plongée consacre désormais tout son temps à son association « Home » qui sensibilise le jeune public au tri sélectif des déchets et autres gestes écologiques. « On ne peut pas blâmer la population algérienne, elle n’a pas été suffisamment avertie de l’impact de certains de ses gestes sur l’environnement. Certains qui plongeaient avec moi pour la première fois étaient surpris de voir que le littoral de Tipaza n’est pas épargné par la pollution. Hélas, le ballet de poissons que je pouvais admirer pendant des heures à mes débuts a disparu. La baie de Tipaza est un cul-de-sac, tous les déchets venant de l’Est, d’Alger et de Bou Ismail, s’échouent ici », raconte celle qui organisait des sorties en mer avec ses élèves pour nettoyer les fonds marins. Combative, elle garde espoir : « Ce n’est pas irréversible. Au milieu de projets inefficients à coup de milliards, comme « Plage propre », quand on avait payé l’été dernier des jeunes, livrés à eux-mêmes pour nettoyer les plages d’Alger, l’Etat ferait mieux d’investir dans des spots télévisés diffusés à des heures de grande écoute. On pourrait aussi s’inspirer du modèle occidental « pollueur-payeur ». Il faut que les pollueurs de notre pays comprennent qu’ils n’ont plus d’autre choix que de changer de comportement ».