L’Algérie est devenue une terre de passage et d’attente pour les migrants subsahariens qui sont de plus en plus nombreux à entrer clandestinement dans le pays. Toutefois l’attrait des métropoles est désormais passé. Le phénomène s’étend même aux petites villes comme Guelma.
Lorsque vous arrivez dans cette ville du nord-est de l’Algérie située à 60 km d’Annaba, la première observation que l’on vous fait est la suivante : « Avez-vous vu les Maliens de la SNTV ? » Un mot de passe, une référence locale ? Pas du tout, quelques kilomètres en voiture vous fait comprendre la situation.
Sur le Boulevard Souidani Boujemaa, dès que vous vous arrêtezs à un feu, ils surgissent de nulle part. Des enfants peut-être originaires du Mali ou du Niger. « Sadaqa, sadaqa ! » crie une petite fille d’à peine 10 ans en mimant une main que l’on porte à la bouche, « sadaqa pour manger ». Ce sont les seuls mots qu’elle connaît en arabe, et elle les répète à l’envi. Cette scène est devenue le quotidien des Guelmis, qui ne font plus trop attention aux enfants. « Laisses tomber ils sont là depuis des mois, ils nous connaissent et nous les connaissons à force. Ce sont des Maliens, ils demandent tous les jours l’aumône. Vas à la SNTV tu les trouveras tous ! », explique notre chauffeur.
Elles sont peut-être des dizaines de familles à avoir élu domicile à la gare routière de Guelma. Depuis plusieurs mois, toutes dorment à la « SNTV » comme l’appellent les habitants. Des hommes, des femmes et même des enfants qui se réfugient quotidiennement dans les abribus qu’ils ont eux-mêmes aménagés pour y dormir, alors que les Algériens montent et descendent des bus et taxis pour se rendre dans tout le pays. Dans ce lieu de passage des Maliens et des Nigériens font désormais partie du décor. Il y a quelques mois à Guelma, les habitants regardaient les subsahariens à la télévision. Ils n’étaient que des voisins lointains. Désormais, Maliens et Nigériens sont leurs voisins proches et habitent même leur rue.
Le Mali se remet à peine du conflit qui a duré presque une année au Nord. Au Niger, la pauvreté et les maladies font fuir la population, qui se déplace vers le nord de l’Afrique, principalement vers le voisin algérien, pour des raisons économiques. Ainsi, plusieurs villes voient depuis l’année dernière des réfugiés débarquer sans rien, à la recherche d’un avenir meilleur. D’après les chiffres officiels donnés par le ministère de l’intérieur et des collectivités locales, au moins 30 000 réfugiés maliens avaient choisi cette année de fuir vers l’Algérie. Du côté du Niger, il n’existe que peu de statistiques.
Entre assistance…
Guelma comme d’autres villes du pays telles qu’Adrar, Tamanrasset, Oran ou Annaba, a vu ces déplacés arriver en masse. Ce n’est pas un fait nouveau sauf que pour une petite ville comme Guelma et ses villages qui l’entourent, il s’agit de l’événement de l’année. Dans cette ville rurale qui manque encore fortement de ressources – les habitants subissent encore fréquemment des coupures d’eau et d’électricité -, les citoyens sont surpris que des migrants aient choisi ce lieu pour demander de l’aide et poser leurs valises. Un choix surprenant ? Pas tant que ça, car ces déplacés trouvent une aide plus importante dans cette région que dans les grandes villes, où ils sont perçus comme une menace.
Les migrants subsahariens ont désormais trouvé leur rythme et leur spot dans le chef-lieu de la wilaya de Guelma. A la sortie des mosquées le vendredi, près des commerces du grand boulevard la journée, ou à la gare routière aux heures de pointe, ils sont nombreux à demander l’aumône ou un peu de nourriture. La nuit, en revanche ils disparaissent. Quelques habitants se sont mobilisés pour les aider, et leur donne régulièrement de quoi se nourrir, notamment en cette période religieuse d’aïd. « Dès que l’on peut on leur achète à manger, on leur donne un peu d’argent. La dernière fois une petite m’a même demandé mon voile que je portais sur la tête ! Je lui en ai acheté un, les pauvres manquent de tout », confie Massaouda.
« Je suis arrivée il y a deux mois en Algérie. J’ai fait plusieurs villes Tamanrasset, Ghardaia, et je me suis arrêtée à Guelma il y a quelques semaines. Je dors à la SNTV avec mes 3 enfants et nous vivons de la sadaqa », raconte Marbouka, originaire du Niger. La femme peut-être âgée d’une cinquantaine d’années se poste tous les vendredis devant la principale mosquée de la ville en espérant un don qui lui permettra de nourrir ses enfants. « Les gens sont très généreux ici, c’est pour que nous avons décidé de rester ici », reconnait Marbouka. En effet, très régulièrement la société civile vient en aide à ces migrants, qui sont à la rue depuis leur arrivée. La nigérienne nous explique que ce sont essentiellement des familles comme elle qui ont choisi de s’arrêter un moment à Guelma. «Il y avait des Maliens, mais maintenant ce sont surtout des Nigériens qui sont là.» Justement lorsqu’on lui demande pourquoi elle a quitté son pays, la nigérienne répond que « je vais bientôt repartir, j’étais venue pour fuir la misère dans laquelle je vivais. Mais d’ici quelques jours je compte retourner au Niger
… et le rejet
En dépit de l’assistance offert par les citoyens de la ville, ces derniers ont maintenu leur à priori sur ces subsahariens installés à Guelma. Parfois les clichés, qui frôlent le racisme primaire, créent un décalage entre la population algérienne et les migrants. « Nous avons habillé un petit malien pour l’aïd et après pour plaisanter nous l’avons mis sur le marché pour faire semblant de le vendre. Mais il se débattait et faisait la tête », raconte un adolescent amusé. De l’humour pour certains de ces habitants, alors que d’autres ont vivement condamné cette petite blague estimant qu’elle bafoue la mémoire de l’esclavage. « J’ai tenté une fois de ramener une petite fille à sa maman, elle m’avait l’air perdue. Je venais de lui offrir une poupée pour la calmer et je pensais qu’elle se laisserait accompagner, mais pas du tout, elle s’est débattue et elle criait. Je n’aime pas dire ça mais ils sont un peu sauvages ces gens-là », confie une guelmoise, habituée à aider ces nouveaux habitants temporaires.
Mais de la compassion, les Guelmis sont vite passés à la lassitude, et les rapports entre réfugiés et population locale se sont vite dégradés. « Un commerçant avait l’habitude d’aider une petite malienne, mais lassé qu’elle revienne tous les jours il a fini par la porter pour la jeter sur la route en criant « qu’elle se fasse écrasée ! Je m’en fiche » », raconte une habitante de Guelma témoin de la scène.
Envisager le retour ?
Finalement même s’ils ne s’en plaignent pas ces migrants ont du mal à se faire accepter dans l’ensemble du pays, à Guelma ou ailleurs, la solution de l’exclusion a été appliquée partout. Les cas de racisme ou de violences à l’égard des réfugiés sont aussi nombreux que les aides proposés à ces migrants. D’autant plus, lorsque même les autorités algériennes ne s’impliquent pas dans leur sort, voire les rejettent à leur tour. Par exemple en septembre le quotidien Algérie News, révélait que la députée Ismahan Mokrane du Parti El Adala de la wilaya de M’sila avait adressé au ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales une orale pour lutter contre la «prolifération» des réfugiés maliens en Algérie. Cette dernière dénonçait des arrivées en masse de subsahariens dans le sud et le nord du pays, appelant à les « parquer dans des camps ». La gestion des réfugiés semble plus effrayer les autorités du pays que les intéresser.
A Guelma les migrants n’ont pas fait long feu puisque après l’aïd, les familles se sont volatilisées. Quelques réfugiés sont encore éparpillés dans la ville, mais pendant plusieurs jours il était impossible de savoir ce qu’ils étaient devenus. « Ils auraient déplacés ailleurs, sans doute au Mali », nous explique une source locale. En réalité alors que les autorités locales avaient promis d’aider ces familles on leur offrant un refuge, c’est une toute autre décision qui a été prise, celle de les expulser de la ville. « Ils ont été ramassés par des policiers et renvoyés à la frontière, afin qu’ils regagnent leur pays. Je dirais qu’une centaine de migrants ont été expulsé, pour la plupart des Maliens », nous explique une source policière. Quelques familles restent encore à Guelma, mais combien de temps ? Jusqu’à ce que l’hiver les chassent vers de régions plus chaudes ou peut-être jusqu’à la prochaine reconduite aux frontières ? Personne ne le sait, ni semble s’en soucier…