Le délai de deux ans accordé par le ministère de l’Intérieur aux associations pour se conformer à la loi 12/06 a expiré le 12 janvier dernier. Depuis, c’est le branle-bas de combat au sein du mouvement associatif algérien. Si la demande d’abrogation de ce texte « liberticide » fait consensus, les moyens à mettre en œuvre font débat. Le ministère de l’Intérieur, de son côté, ne communique pas sur ce dossier.
Selon la nouvelle loi, les associations algériennes et internationales, présentes en Algérie, avaient jusqu’au 12 janvier pour se réunir en assemblée générale, installer de nouvelles instances et déposer un dossier au ministère de l’Intérieur, sous peine d’être dissoute après saisie du tribunal administratif. Le jour même de l’ultimatum, un groupe d’associations, ayant demandé un agrément mais n’ayant reçu encore aucune réponse, ont manifesté devant l’Assemblée nationale populaire (ANP) pour exiger l’abrogation de cette loi. Ils étaient une trentaine d’associations, parmi lesquelles le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), le Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA), l’Etoile culturelle d’Akbou ainsi que la Ligue pour la défense des droits de l’homme de Béjaïa, à braver la pluie pour faire entendre leur voix. En réalité, ce collectif d’associations reprend le flambeau d’une campagne de sensibilisation lancée à Oran, suite à l’interdiction de deux associations, explique le président de RAJ, Abdelouahab Fersaoui. En juillet, l’Association des résidents de Canastel (ARC) et le Comité de quartier El Bahia de Bir el Djir, qui militaient pour la préservation des espaces verts, ont vu leur activité gelé par le wali d’Oran. Ce dernier avait fait appliquer l’article 39 de la loi 12/06, qui prévoit la « suspension d’activité de l’association ou à sa dissolution en cas d’ingérence dans les affaires internes du pays ou d’atteinte à la souveraineté nationale ». « Cette loi réduit notre champ d’action. Désormais, certains domaines nous sont interdits de façon tout à fait discrétionnaire », dénonce le président de RAJ. Les deux associations bannies ont alors riposté en fondant un collectif à l’échelle régionale et en lançant une page Facebook et une pétition pour médiatiser leur combat. En septembre, l’Arc et le Comité e quartier El Bahia de Bir el Djir ont fini par remporter leur bras de fer dans les tribunaux administratif d’Es Sedikkia.
Mais la mobilisation ne s’arrête pas là et leur cause a pris une ampleur nationale d’autant plus que la loi « liberticide » est définitivement entrée en vigueur le 12 janvier dernier, jetant dans l’illégalité et la clandestinité les associations qui n’ont pas reçu d’agrément.
La manifestation devant l’APN, dimanche dernier, a porté ses fruits puisqu’une délégation de quatre protestants a été reçue par la Commission parlementaire à la jeunesse et au sport. « On leur a fait part de notre revendication qui est claire : on veut que la loi sur les associations soit abrogée », raconte Abdelouahab Fersaoui. Ils ont notamment discuté du controversé article 39.
Premières victimes : les petites et nouvelles associations
Cet article n’est pas le seul pointé du doigt par les associations algériennes. Elles dénoncent une manœuvre des autorités pour dissuader les jeunes algériens de se mobiliser et s’engager auprès d’une association par le biais de cette nouvelle législation. « La lourdeur des démarches administratives est pire maintenant. Ils demandent trop de documents et de justificatifs dans l’article 12, notamment un extrait du casier judiciaire de chaque membre fondateur », soupçonne le président de RAJ. Les militants interrogés sont unanimes, cette loi est dangereuse moins pour les associations établies depuis des années dans la société civile algérienne que pour les nouvelles venues dans le milieu associatif. « Nous, nous sommes à l’abri. On dispose d’un pouvoir tel que les autorités ne chercheront pas de confrontation avec les anciennes associations. Le danger, il est plus pour les petites associations. Elles seront broyées par la lourdeur de la nouvelle procédure et l’impossibilité d’avoir recours à un financement étranger », alerte le président de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LAADH), Hocine Zehouane.
Mais les militants associatifs, reçus à l’APN, ont frappé à la mauvaise porte. « Les parlementaires, avec lesquels nous nous sommes entretenus, nous ont expliqué que ça n’est pas de leur ressort mais se sont engagés à transmettre notre message à la Commission parlementaire juridique et au président de l’APN », assure Abdelouahab Fersaoui. Une semaine après la manifestation, les protestants attendent toujours un signe du ministère de l’Intérieur.
Si l’ensemble du mouvement associatif algérien s’accorde pour exiger l’abrogation de la loi 12/06, il s’entend toutefois difficilement sur la manière d’opérer face à une administration muette. D’ailleurs, selon des témoins oculaires, la manifestation du 12 janvier devant l’APN « était mal organisée » et certains participants se sont chahutés sous le regard des forces de l’ordre. Alors, à Amnesty International, on hésite encore à rejoindre ce collectif. « On préfère attendre une première réunion d’orientation », explique la directrice de la section algérienne d’Amnesty International, Hassina Oussedik Giraud. Mais l’ONG n’entend pas baisser les bras et veut profiter du fait que l’Algérie siège depuis novembre dernier au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU pour mettre les autorités face à leurs engagements. « C’est une fenêtre d’opportunité pour nous. Il faut s’engouffrer dans cette brèche », explique Hassina Oussedik Giraud.
Allô, le ministère ?
De son côté, la LADDH prend ses distances avec le collectif, qui a manifesté dimanche dernier. « Notre combat s’inscrit dans le temps alors on ne va pas aller gesticuler devant l’ANP », dit le président de la LAADH. « Nous allons rédiger un mémorandum, enrichi d’un cahier de revendications, dans lequel on demande à revenir à un régime déclaratif. Autrement dit, un groupe d’individus n’aura plus à obtenir un agrément préalable du ministère pour se constituer en association », confie ce juriste.
Et l’urgence aujourd’hui est d’obtenir ce fameux agrément. A Amnesty international, on a sollicité une première fois le ministère de l’Intérieur pour trancher sur l’interprétation des articles de la loi, relatif à la constitution du dossier d’agrément. « Certains points sont flous, c’est un véritable casse-tête chinois. Mais aucun interlocuteur au ministère n’a daigné répondre à nos questions. Alors, on a quand même tenu notre assemblée générale en présence d’un huissier », raconte la directrice de la section algérienne de l’ONG. L’ensemble des associations interrogées nous expliquent avoir eu aussi à faire aux portes fermées du ministère de l’Intérieur. « Nous avons déposé un dossier d’agrément en main propre au siège du ministère en novembre mais nous n’avons reçu aucun récépissé d’enregistrement si bien qu’on ne sait même pas si notre demande a été prise en compte. Depuis, nous sommes toujours dans l’attente », s’inquiète le président de RAJ. « C’est un déni de service public », s’indigne le président de la LADDH. De son côté, Amnesty international regrette l’absence de dialogue avec les pouvoirs publics algériens. « Notre ONG a pour culture de poursuivre le dialogue même avec des autorités répressives mais en Algérie le dialogue tourne court car les ministères répondent rarement voire jamais à nos sollicitations », déplore Hassina Oussedik Giraud, qui a anticipé la (non)réaction du ministère de l’Intérieur au moment du dépôt de dossier d’agrément. « Quelques minutes après être passé au ministère pour déposer notre dossier d’agrément et n’avoir obtenu aucun récépissé, on est allé à la poste pour envoyer un double du dossier par recommandé afin d’avoir une preuve de notre bonne foi », confie-t-elle. « C’était le 7 novembre dernier. Le ministère a deux mois pour se prononcer (ndlr article 12). Donc, le 7 janvier au plus tard, on aurait dû être fixé. Pourtant à ce jour, toujours aucun signe du ministère », soutient Hassina Oussedik Giraud. La rédaction d’Algérie-Focus a tenté à plusieurs reprises de joindre le ministère de l’Intérieur. En vain.
Opacité absolue
Devant une telle opacité, Hassina Oussedik Giraud se demande même si l’Etat algérien va réellement appliquer cette loi. « Dans l’ancien dispositif réglementaire, il existait déjà des contraintes mais l’Etat tolérait qu’on ne les respecte pas toutes », se souvient-elle. Elle cite l’exemple des associations de famille de disparus, qui, au nom de la loi sur la réconciliation nationale, auraient dû être formellement interdites « dans un Etat de droit normal qui fait appliquer ses lois, aussi liberticides qu’elles soient. Et pourtant ces associations existent », fait remarquer la militante d’Amnesty international, avant d’ajouter : « Je n’ai vu pour le moment ni décret, ni circulaire d’application de la nouvelle loi ». Alors, la loi sur les associations va-t-elle finalement rester lettre morte ? « En petit comité, le ministre Dahou Ould Kablia, le père de cette loi, reconnaît lui-même qu’ils ont commis quelques erreurs dans la rédaction de ce texte. Il faut dire que l’exposé des motifs, dans lequel le législateur fait référence à l’article 41 de la Constitution, qui garantit le droit à liberté d’expression, est en total contradiction avec le dispositif de la loi », assène Hocine Zehouane. En attendant d’y voir plus clair sur les intentions du ministère, les militants peuvent toujours profiter de ce répit pour s’entendre et parler d’une seule voix. Ce qui n’est pas une mince affaire…
Consultez l’intégralité du texte de la loi sur les associations 12/06 ici