Lutte contre la toxicomanie : des Algériens découvrent les nouveaux chemins de la guérison

Redaction

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Pour lutter contre la toxicomanie, on mise sur l’innovation au centre de proximité de prévention et de psychothérapie de Mohammadia à Alger. Inaugurée en octobre, une salle de relaxation flambant neuve s’inspire d’une méthode asiatique. Une première en Algérie !

Assis sur un tabouret, le dos voûté et les yeux rivés au sol, Ahmed ne sait pas vraiment comment positionner ses pieds sur l’appareil, à la forme d’un step de gym. Silencieux, peut-être intimidé, Ahmed se laisse guider par la voix grave du moniteur. Celui-ci, dans sa blouse noire boutonnée jusqu’au cou, a la stature d’un sage asiatique.

Il faut dire que Abdelkrim Abidat, psychothérapeute et une référence internationale en matière de proximité de prévention pour la lutte contre les fléaux sociaux, a parcouru toute l’Asie pour dénicher un équipement aussi sophistiqué, venant en aide aux personnes accro à la drogue. « Du jamais vu en Algérie ! », affirme le président de l’association Pour la sauvegarde de la jeunesse, qui gère le centre de proximité de prévention et de psychothérapie de Mohammadia à Alger. Ce centre est le seul établissement de lutte contre la toxicomanie géré par une association en Algérie, précise Abdelkrim Abidat.

Le massage intégral sert à détendre tous les muscles. Photo Djamila Ould Khettab
Le massage intégral sert à détendre tous les muscles. Photo Djamila Ould Khettab

Un matériel asiatique pour une technique algérienne

En désignant Ahmed du regard, le psychothérapeute explique posément l’utilité de la machine sur laquelle l’homme au teint cireux et aux joues creuses à poser ses pieds : « Il est en train de faire un massage cardiovasculaire pour stimuler la circulation de son sang ». Le regard de Abdelkrim Abidat se tourne ensuite vers un second jeune homme, habillé d’un survêtement rouge. Les yeux clos, un casque avec deux gros coussinets noirs posé sur les tempes. « Celui-là fait un massage cervical. Comme une mise à jour du cerveau. La drogue est vicieuse, elle ne s’implante pas n’importe où dans le cerveau. Elle s’attaque au cortex, le siège de la mémoire. Il est très difficile de la déloger », continue avec des mots simples le psychothérapeute.

Comme Ahmed et le jeune homme au survêtement rouge, les toxicomanes algériens peuvent depuis un petit mois tester les étranges machines du docteur Abidat. La méthode n’a pas encore fait ses preuves mais la séance hebdomadaire du lundi affiche déjà complet. L’idée d’installer une salle de relaxation dans le centre de lutte contre la toxicomanie de Mohammadia est née d’un constat. « L’équipe qui encadre le programme de lutte contre la toxicomanie, une psychologue et un médecin généraliste, était usée et les résultats n’étaient plus au rendez-vous. De moins en moins de jeunes fréquentaient le centre. Ils étaient fatigués de parler de leur dépendance à la drogue. J’ai compris qu’en plus des rencontres avec la psychologue ils avaient besoin d’une prise en charge active. D’où l’idée d’ajouter une nouvelle étape, la relaxation, dans leur programme », confie Abdelkrim Abidat. Le président de l’association Pour la sauvegarde de la jeunesse a alors fait installer dans le centre de Mohammadia un matériel de relaxation fabriqué en extrême Orient. Un investissement cher de 400 millions de dinars, financé par l’association.

Inspiré d’un savoir-faire asiatique mixé à la sauce algérienne, cet atelier de relaxation innovant est unique en son genre en Algérie. A mi-chemin entre l’aérobic et le massage, la relaxation sert à soulager le corps « fatigué » par la consommation de drogue. Les « acteurs » de la séance, comme Abdelkrim Abidat tient à les appeler, suivent un circuit en douze étapes soigneusement pensé par le psychothérapeute. La session débute toujours par la « mirothérapie ». Une thérapie inventée par  Abdelkrim Abidat lui-même. Face à leur reflet dans un miroir, un casque sur les oreilles, les « acteurs » écoutent un message musclé sur les conséquences de la drogue sur leur santé et leur vie sociale. Objectif : amener ces toxicomanes à une « prise de conscience personnelle ». « Le message vient volontairement titiller l’égo des drogués en leur disant « Si vous êtes un homme, défiez la drogue ». Le message se termine en leur demandant de donner la permission d’allumer les machines et de commencer la séance. Ce n’est qu’une fois que les personnes ont répondu « naham » que la séance peut commencer », raconte Abdelkrim Abidat, en levant ses mains comme un chef d’orchestre. Mais ce sont bien « eux qui sont aux commandes de la séance, pas moi », insiste le psychothérapeute. Dans le même esprit,  Abdelkrim Abidat a décidé de faire payer une somme « symbolique » la séance de relaxation. « Une séance coûte 1.000 dinars, soit le prix d’un joint. Ainsi, on laisse le choix aux toxicomanes : soit d’utiliser ses 1.000 dinars pour se sevrer, soit pour continuer à se bousiller la santé », indique le président de l’association Pour la sauvegarde de la jeunesse.

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A l’aide de ces deux machines, importées d’Asie, les deux jeunes toxicomanes stimulent leur circulation du sang. Photo Djamila Ould Khettab

Dans la salle de relaxation, cinq minutes viennent de s’écouler. Les deux jeunes hommes sont invités par Abdelkrim Abidat à permuter. Alors, Ahmed attend que le garçon aux traits juvéniles et au regard fuyant s’allonge entièrement sur une table de massage pour prendre sa place à l’atelier de massage cervical. Il faut dire que tous les engins de relaxation sont disposés dans un espace réduit d’à peine dix mètres carré, qui permet difficilement de se déplacer à trois à l’intérieur. Un espace grignoté à la salle d’accueil du centre de proximité de prévention. « La séance de relaxation est conçu pour un espace confiné. Il ne faut surtout pas agrandir le cercle. De cette manière, les individus ont le sentiment d’être vraiment pris en charge, qu’on s’intéresse vraiment à eux et pas qu’on bâcle le travail », explique l’importateur du concept asiatique. « Ici ce n’est pas une clinique, les individus ne doivent pas se sentir comme dans un hôpital. Sinon ça fausserait le jeu. Il faut un espace convivial », poursuit Abdelkrim Abidat. C’est aussi pourquoi la salle de relaxation n’est séparée de l’accueil du centre que par une simple vitre, qui laisse passer les conversations de ceux qui attendent leur tour, de l’autre côté de la pièce.

Cinq minutes plus tard, le jeune garçon au survêtement rouge se lève à la demande du moniteur, enfile une blouse blanche, s’allonge sur une banquette et place son visage sous une machine en forme de lampe allogène. C’est l’étape de la « luminothérapie ». Une méthode « encore jamais essayée en Algérie », affirme Abdelkrim Abidat. « Le scanner tourne autour de sa tête pour nettoyer toutes toxines du sang », explique le psychothérapeute. L’autre moyen d’éliminer les toxines c’est de suer en faisant du sport ou en allant au hammam, ajoute l’expert. Après la luminothérapie, le jeune se laisse docilement vaporisé le visage. « Cet appareil contribue à nettoyer la peau des toxicomanes. Regardez-les, ils ont 20 et 29 ans (respectivement le garçon à la veste rouget et Ahmed) mais ils en paraissent facilement dix de plus », fait remarquer Abdelkrim Abidat, d’un air désolé.

Avant-dernière étape, le ballon. Les mains sur les épaules d’Ahmed, pour l’aider à garder l’équilibre, l’animateur de la séance lui demande de sautiller sur le gros ballon rouge. Pas vraiment à son aise, Ahmed esquisse un sourire. « Cet exercice permet de stimuler la zone des reins bouchée par le goudron contenu dans les cigarettes que tu fumes », lui explique Abdelkrim Abidat.

La luminothérapie est une nouveauté en Algérie. Photo Djamila Ould Khettab
La luminothérapie est une nouveauté en Algérie. Photo Djamila Ould Khettab

Le clou de la séance : la valse des poissons rouges. Plongée dans le noir, la salle de relaxation n’est plus éclairée que par la lumière de l’aquarium rangé dans un angle de la pièce. Assis côte à côte, Ahmed et le garçon au survêtement rouge regardent comme hypnotisés le bassin d’eau, bercés par une musique orientale envoûtante. Au bout de trois quarts d’heure, la séance se termine.

Plus de 300.000 toxicomanes en Algérie

Nouvelle étape dans le long et difficile chemin vers le sevrage, la relaxation ne suffit pas à elle seule à mener à la guérison, elle prend juste le relais des rencontres avec le médecin généraliste et la psychologue, avertit Abdelkrim Abidat, qui encourage ceux qu’il voit chaque lundi depuis un mois à mettre des mots sur leurs maux. Au centre de psychothérapie, les toxicomanes trouvent l’écoute qui fait défaut à la maison et dans leur entourage. « C’est le problème de la société algérienne, il n’y a pas d’écoute dans la cellule familiale. On ne dîne même pas ensemble. Les parents, surtout les pères, ont démissionné, ils ne veillent pas assez sur leurs enfants qui dérivent », regrette Yazid Chari, le responsable administratif de l’association.

Depuis sa création en juin 1992, le centre de proximité de prévention et de psychothérapie de Mohammadia accueille chaque année en moyenne quelque 200 personnes décidées à sortir de la dépendance à la drogue. Jeunes moins jeunes, la porte du centre est ouverte à tous, y compris à ceux qui veulent garder l’anonymat. « Il n’y a pas besoin de remplir un dossier ici, on n’a même pas besoin de donner son vrai nom pour avoir le droit d’être consulté », souligne Yazid Chari. Malgré le tabou dans la société algérienne, certaines femmes osent se présenter au centre. Ce lundi-là d’ailleurs, une jeune femme de 28 ans à la silhouette de lycéenne attend son tour à la séance de relaxation. « Elle a un enfant de 8 ans. C’est pour lui qu’elle veut arrêter », confie Yazid Chari, qui connait les histoires personnelles de chacun des « sujets » à qui il apporte son soutien. Oui, l’agent de l’APC détaché au centre de Mohammadia ne veut pas parler de « malades ». « La toxicomanie n’est pas une maladie, c’est un vice », considère-t-il.

Selon les statistiques nationales, l’Algérie compte 300.000 toxicomanes et 1 million de consommateurs occasionnels. Un chiffre sous-évalué, pour Yazid Chari. « Rien que dans la wilaya d’Alger il doit y avoir 300.000 toxicomanes », estime le responsable administratif du centre. Véritable fléau, la drogue n’épargne aucune couche de la société algérienne. « Les pauvres ne sont pas plus touchés que les classes aisées. La drogue concerne tous les milieux, elle ne fait pas de différence sociale », soutient Yazid Chari.

Posté à la sortie de la salle de relaxation, Yazid Chari retrouve Ahmed, qui, derrière ses lunettes aux verres fumés, semble régénéré, le corps léger. Pressé de guérir de quinze années d’addiction, Ahmed donne rendez-vous le lundi suivant. Mais avant de quitter le centre, le jeune homme à la dentition ravagée par les stupéfiants s’attarde au bureau d’accueil où Yazid Chari lui procure la tisane concoctée par M. Abidat. « Au centre, on ne traite pas par les médicaments. La seule chose qu’on propose c’est cette tisane composée de douze plantes à 200 dinars la boîte. Elle sert à calmer la sensation de manque et les crises d’angoisse et d’insomnie liées à l’état de manque », explique le responsable administratif du centre. Si Ahmed affiche sa volonté de s’en sortir, le jeune garçon au survêtement rouge s’est, lui, évaporé. Oui, à chaque fin de séance, c’est toujours la même incertitude : Reverra-t-on le toxicomane ? Trouvera-t-il la détermination suffisante pour remporter son combat contre la drogue ?

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