Quand je me suis rendue aux Urgences pédiatriques de l’hôpital Nafissa Hamoud, ce n’était pas dans le but de rédiger ce reportage ni pour comprendre comment les enfants sont pris en charge au sein de cette structure. Je me suis rendue là-bas en compagnie de mon bébé très malade et qui souffrait d’une fièvre inexpliquée et persistante.
Orientés par un pédiatre privé en urgence au niveau de ce service pour effectuer à mon petit âgé de 15 mois, une ponction lombaire je me suis quand même retrouvée dans la grande salle d’attente en train d’attendre mon tour alors que des cas moins graves passaient en premier sous prétexte qu’ils étaient là avant moi.
A l’accueil, il n’y a aucun tri des enfants reçus en fonction de la gravité de leur cas. Du petit bobo aux douleurs les plus graves, tout le monde peut être pris en charge aux urgences. C’est ce qui explique la grande affluence face à laquelle plusieurs médecins semblent impuissants. Seul un agent d’administration accueille les nombreux parents qui arrivent désemparés pour leur donner un numéro et leur demander de patienter en attendant leur tour. La grande salle d’attente est pleine à craquer, la fatigue se lit sur les visages des mamans et les enfants lancent des cris stridents, d’autres enfants un peu plus âgés s’agitent et pleurent sans arrêt.
Des médecins mal encadrés
L’atmosphère est lourde, les nerfs sont tendus et le climat est délétère dans la grande salle d’attente. De l’avis de plusieurs mamans présentes sur place, le temps d’attente aux urgences dépasse souvent les deux heures. Pour les enfants qui nécessitent des radios et des analyses, il faut compter plus de 4 heures. J’attendais impatiemment mon tour quand enfin l’agent me demande de rentrer dans une salle de soins. Quatre femmes accompagnées par leurs chérubins sont déjà à l’intérieur d’une salle exiguë et délabrée. Deux jeunes médecins résidentes consultent à tour de rôle les petits malades, procèdent à l’examen clinique et prescrivent les médicaments. Quand mon tour arrive, j’explique le cas de mon petit qui souffre de fièvre à 40° et d’une toux sévère qui l’empêche de respirer. Les jeunes résidentes semblent impuissantes devant son cas en raison de l’absence d’un tableau clinique évocateur d’une quelconque pathologie. Quatre jeunes médecins résidentes passent et repassent l’examen clinique à mon enfant. Ce dernier est mis sous aérosol et sa température est mesurée.
Les jeunes médecins se concertent entre elles et finissent par réclamer la présence de leur encadreur. Elles étaient perdues entre plusieurs diagnostics : rhino-pharyngite, bronchite, angine ou otite. Aucun de ces jeunes médecins n’a réussi à comprendre réellement les souffrances de mon bébé. Ce n’est qu’après deux heures d’attentes que j’ai pu rencontrer enfin un médecin expérimenté, mais je ne connaissais toujours pas le diagnostic de mon fils qui devait encore passé une radio thoracique et un bilan sanguin. Et donc, encore deux heures d’attentes devant la longue file qui m’avait déjà devancée. Je vient de passer ainsi près de 6 heures au service des urgences sans savoir comment soigner mon enfant.
Angoisse, incertitude et tensions
Mais je ne suis pas encore au bout de mes peines. Pendant six heures j’ai subi un manque d’encadrement criant des médecins résidents qui se trouvent parfois impuissants devant des cas complexes. Des cas qui dépassent largement leurs compétences en l’absence de leurs encadreurs, ces médecins chevronnés aux abonnés absents dans ces moments de panique. A l’incertitude, l’angoisse, vient s’ajouter ensuite la longue attente et… la pénurie de médicaments ! Dans la salle où les analyses sanguines doivent être effectuées, un cas urgent est traité par un groupe de jeunes médecins résidents. Une petite fillette souffrante qui peine à respirer. Les médecins cherchent à lui administrer un antibiotique. Or, ce médicament est introuvable dans leur pharmacie. Que faire ? Le père de la patiente est prié de se lancer en urgence à la recherche de ce médicament à l’extérieur de l’hôpital. Apeuré, il quitte précipitamment son enfant pour se rendre dans les pharmacies privées. Au même moment, une maman exaspérée et inquiète par l’état de santé chancelant de son enfant réclame une seringue pour qu’une infirmière administre à son bébé une injection. La réponse est rapide et cinglante : « Désolé, nous n’avons plus de seringues à vous donner. Leur nombre est limité ! »
Quelques minutes plus tard, une autre maman éclate en sanglots : son bébé de trois mois est décédé ! Elle hurlait de chagrin et aucun médecin ou infirmier n’a tenté de la calmer. Son enfant serait mort parce qu’il n’a pas été transféré dans les bons délais à l’hôpital. Les membres de la famille de la mère éplorée et abattue se rassemblent pour l’évacuer. Les autres enfants accompagnés par leurs parents assistent en direct à cette scène funèbre. Certains crient au scandale, d’autres tentent de comprendre calmement les raisons de ce drame.
Le soleil s’abaissait rapidement à l’horizon, la nuit n’allait pas tarder à venir et je n’avais toujours pas le moindre indice sur les soins dont avait besoin mon enfant. Les médecins courent dans tous les sens dans les couloirs. La salle d’attente se remplit sans cesse. Aucun infirmier n’est dans les parages. Seul un agent d’entretien tente de débarrasser la salle d’attente de ses moisissures. Mon enfant n’a toujours pas effectué ses analyses. Sa fièvre bat des records. Il pleure, il crie, il me fait peur. Les autres mamans supplient le service d’accueil pour les orienter vers des médecins. Mais ces derniers font des apparitions furtives et disparaissent en s’enfermant dans leurs bureaux avec d’autres patients recommandés. « El-marifa », le népotisme, fait office de loi dans les urgences de nos hôpitaux.
J’apprends cette triste réalité à mes dépens. Je la subis sans pouvoir contester puisque la santé de mon enfant dépend du bon vouloir de l’administration hospitalière. Soigner mon enfant et s’en fuir, voila ma seule résolution. La nuit tombe et l’anarchie se poursuit. Des centaines de parents font des va-et-vient sans savoir à quel saint se vouer. Je n’ai toujours pas les résultats des analyses de mon bébé. « Impossible de trancher sur l’état de votre enfant sans ses analyses », s’excuse une jeune médecin. Ma patience s’épuise et je perds mon sang froid. Je prends mon enfant et je sors de cet univers macabre pour aller chercher de l’aide dans les… cliniques privées.