Ouargla : maudite soit cette élection présidentielle !

Redaction

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Nouvelle étape pour Ali Benflis, et nouveau défi : convaincre une population qui ne croit plus en une démocratie. Telle a été la tache bien compliquée qu’attendait le candidat à la présidentielle à Ouargla. Une ville connue pour cristalliser les crises sociales dans le sud du pays.

Voter n’est pas un verbe que l’on aime conjuguer à Ouargla. L’élection du 17 avril emballe peu ou prou les habitants de la ville située à quelques km de l’un des plus grands gisements de pétrole de l’Afrique, Hassi Messaoud. Pas d’argent, pas de travail, mais de l’or noir dont on entend parler sans jamais réellement en profiter, c’est le quotidien que nous décrivent les habitants de la ville connue pour être régulièrement un foyer de crise sociale. A quelques semaines du scrutin présidentiel, les habitants de la ville ne se soucient guère d’ »une élection jouée d’avance », disent  les ouarglis. « A quoi va-t-on servir ? » s’interroge Amar, un ouargli au chômage.

Cela fait trois jours que la campagne présidentielle a commencé, et  à Ouargla comme dans le reste du pays, il est difficile d’échapper à cette période électorale, quand dans la ville sont placardées les affiches des candidats, du moins celles d’Abdelaziz Bouteflika et d’Ali Benflis. Seuls ces deux visages arpentent les murs de Ouargla, comme si seuls les deux hommes se battaient pour un duel au sommet. Cette impression se ressentait déjà dans les autres villes mais ici elle est encore plus accentuée. Pour preuve, même le meeting populaire donné par le candidat Benflis s’est fait sous le signe d’une opposition entre les deux hommes. Un choix restreint pour les Ouarglis

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Ali Benflis en meeting à Ouargla / algerie-focus

Le candidat Benflis lors de son meeting a donc dégoupillé les grenades, attaquant pour une première fois Abdelaziz Bouteflika directement. Il a entamé son discours en remettant en question le bilan du président aux trois mandats. « Qu’avez-vous fait en 15 ans ? » a-t-il lancé lors de son intervention à Ouargla. Et d’ajouter « en 15 ans vous n’êtes pas parvenu à raccorder l’eau à Ouargla et après vous demandez 5 années de plus pour ramener de l’eau potable ? ». Ali Benflis propose, en revanche, de prendre en considération et surtout en charge les problèmes quotidiens des habitants. Comme à Adrar, il a de nouveau évoqué la révision du découpage administratif, pour offrir de meilleures chances à cette région. Selon le candidat, seul cette mesure peut rendre plus efficace la gestion globale des villes : politique, sociale et financière. Lutte contre la corruption, emploi ou manque de services et infrastructures, Ali Benflis avait pourtant miser sur les parties fortes de son programme pour convaincre les Ouarglis de se déplacer le 17 avril. Des thèmes qui font le quotidien des habitants.

Le projet du candidat a bien été transmis notamment aux jeunes ouarglis venus nombreux écouter le programme d’Ali Benflis mais ce sont surtout ceux qui comptaient voter qui ont fait le déplacement. La majorité des habitants de la ville avait encore préféré les terrasses des cafétérias que consacrer une heure de leur temps à un candidat.

Un discours et un programme n’ont pas suffi à Ouargla pour convaincre. « Man votich » (Je ne vote pas) est devenu une rengaine dans la ville de Ouargla où l’élection est vue comme une épreuve à passer plutôt qu’une bénédiction. La ville qui souffre de la malédiction de l’or noir est un puits de richesses. Hydrocarbures et ressources humaines sont inépuisables, mais les deux semblent incompatibles. Les rues poussiéreuses, les trottoirs défoncés n’ont rien à voir avec ceux d’Alger qui fait actuellement peau neuve. Le plus frappant dans cette ville est la proportion de jeunes, hommes ou femmes, qui traînent dans les rues attendant que leur vie change un jour ou jamais. Les élections passées ne leurs ont jamais réellement apportés une révolution. La citoyenneté, les ouarglis ne veulent pas l’exercer que dans un sens. Émeutes après émeutes, attentes après attentes, les habitants de Ouargla ont perdu espoir, de telle sorte qu’une élection ou une rencontre avec tel acteur politique n’a aucun intérêt…

Je vote pour l’Algérie mais pas pour la politique

L’élection du 17 avril devrait être donc un rendez-vous à ne pas rater pour les gens de la région. Le moment de choisir la politique qui servira le plus leur cause. Ils ne l’entendent pas ainsi car pour certains il s’agit seulement de tactiques politiciennes.  « Je ne voterais pas car il n’y a pas de vote », explique encore Amar qui affirme avoir enfin un travail à l’approche de l’élection, preuve pour lui que la campagne électorale sert à faire taire les Algériens, plus qu’à leur donner une voix.  Ce dernier est rongé par le dépit.  « Il n’y a pas de démocratie en Algérie. Alors à quoi bon voter ? », estime encore Amar.

Les derniers événements de début mars les ont « dégoûtés » de cette élection. De violentes manifestations de chômeurs ont éclaté et ont été réprimées, sans que pour autant des mesures soient prises pour calmer la colère populaire. C’est un peu l’histoire de la vie des Ouarglis. Qu’ils votent, qu’ils manifestent, pacifiquement ou violemment. Rien ne change. Les personnes interrogées se sentent  tout simplement délaissées. « Lorsqu’on voit ce qu’on subit depuis le 14 mars, on n’attend rien de la politique », déplore Hamza,  et d’ajouter, « je recherche du travail, c’est tout je ne suis pas politicien pour négocier ou exiger quoique ce soit ».

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Les jeunes ouarglis refusent de participer à une mascarade électorale / algerie-focus

D’autres sont plus radicaux. « On se moque de nous, on se moque de plus de 30 millions d’habitants. C’est un Moudjahid cet homme ? Ce n’est pas un Moudjahid, il n’a pas peur de la mort mais il a peur des Etats-Unis ! Nous ne voterons pas pour Bouteflika et pour aucun d’entre eux. Éventuellement pour Benflis il faut bien le tester », s’exclame Oussama, 33 ans également au chômage.

Ali Benflis a pourtant profité de sa venue pour assurer aux gens de Ouargla qu’il ne venait « pas les courtiser pour ensuite les abandonner au bord de la route. » Difficile à convaincre ? Dans la salle prévue pour ce meeting populaire, des habitants curieux d’entendre le candidat disent pour le moment être séduits par le candidat, « mais je n’ai rien décidé. Je ferais mon choix au moment voulu. J’écoute son discours mais ça ne me suffit pas, je dois bien y réfléchir. Si d’autres candidats viennent ici j’irais certainement les voir », explique Houcine, âgé de 23 ans.

Peur d’être déçu ou trompé ? A Ouargla ces deux craintes sont constantes chez les détenteurs de la carte électorale.

Entre la peur du changement…

Ouargla n’est pas prête à voter et encore moins à changer. Même si la plupart des habitants de Ouargla rencontrés reconnaissent que la ville a besoin d’un renouveau, les électeurs qui se disent prêts à voter le feront pour se protéger plutôt que pour choisir. « Moi je voterais, et je voterais pour Bouteflika parce que c’est un homme de mon pays. Je le connais et il m’a donné beaucoup, c’est un enfant de Chahid ça me suffit ! » s’exclame une femme d’une cinquantaine d’années qui attend son tour dans le bureau de vote. «  Qu’il se débrouille même malade, il doit gouverner et après on passera  à autre chose » ajoute la femme.

« Je n’ai pas peur d’un président malade, j’ai peur d’un nouvel homme à la tête de l’Algérie. Nous connaissons son bilan, pas comme les autres », estime Linda, une réceptionniste de 34 ans qui reconnait ne pas connaître les autres candidats et ne pas vouloir en savoir plus. A quelques minutes du meeting d’Ali Benflis elle ne compte pas s’y rendre car « la politique n’est pas très intéressante pour moi » explique-t-elle de peur des manipulations politiciennes. Les craintes des habitants de Ouargla est d’être au centre de jeux politiques le temps de l’élection et d’être oubliés une fois le Président élu. Ainsi plutôt que l’inconnu, ils préfèrent cette fameuse « stabilité » ou du moins savoir ce qu’ils peuvent espérer ou non.

… et l’envie d’un renouveau politique

« Il n’y a pas d’hommes tout simplement. Regardez autour de vous, à Ouargla tout le monde souffre du chômage. Si vous ne travaillez pas dans le pétrole vous n’avez rien ! », s’indigne Cheikh 34  ans, toujours au chômage. Même constat pour Amar « vous êtes dans la capitale du pétrole mais vous avez rien ! Où est la logique ? »

Toutefois quelques ouarglis sont prêts à se rendre aux urnes mais pas forcément pour voter pour quelqu’un mais pour un nouveau projet. Comme dans les autres villes, l’exigence est le changement et l’alternance. « Nous espérons un changement, nous aimerions qu’une pour fois il y ait vraiment un changement. Nous cherchons pas à changer d’homme, nous voulons changer le système politique dans son ensemble. Que le citoyen algérien dispose de son droit » explique Hamza, 27 ans employé à Hassi Messaoud qui compte bien voter le 17 avril prochain.

« Nous devons nous lever, nous investir dans la société civile, bien sûr voter pourrait être une solution mais pour qui ? », s’interroge encore Cheikh, qui s’intéresse peu à la campagne électorale et découvre avec nous que des meetings populaires vont être organisés dans sa ville, notamment celui du candidat Benflis. Ce dernier est parvenu à remplir la salle de meeting assez facilement : « nous avons parlé du meeting autour de nous, par le bouche-à-oreille et les gens sont venus d’eux-mêmes par curiosité. Mais vous savez à Ouargla, il n’y a pas grand espoir, même d’importantes promesses ne le feraient pas voter », explique un membre du comité de soutien d’Ali Benflis.

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