Hassi R’Mel, le plus important gisement de gaz naturel du continent africain, est à l’origine d’une catastrophe écologique, dont peu de personnes en Algérie connaisse l’existence. En cause, la prolifération des bourbiers, qui menace l’écosystème de la wilaya de Laghouat et, dans une autre mesure, celui de tout le Sahara. Des cadres de la Sonatrach, qui se disent « dépassés » et « impuissants », tirent la sonnette d’alarme.
Démissionnaires ou habitués, les quelques 20.000 habitants de la commune de Hassi R’Mel ne prêtent plus vraiment attention aux différentes pollutions qui nuisent à leurs conditions de vie. Dans le quartier « OPGI », cité-dortoir qui a poussé à quelques encablures des puits gaziers, dans les années 1980, les gamins jouent dans les cages d’escaliers. Lles jeunes hommes tuent le temps sur des trottoirs balayés par le sable. Tous semblent s’être accommodés des tas d’ordures ménagers qui s’amoncellent ici et là. Même regards désabusés lorsqu’on évoque la pollution atmosphérique liée aux gaz brûlés émanant des dizaines de torches, qui, au loin, culminent à plus de 30 mètres de hauteur.
« Les puits-bourbiers sont saturés »
Mais depuis que des milliers d’Algériens sont sortis dans les rues de In Salah pour protester contre l’extraction du gaz de schiste, à Hassi R’Mel, on se préoccupe à nouveau de l’impact sur l’environnement des activités de la Sonatrach, principal pourvoyeur d’emplois dans la région. Source d’inquiétudes majeure, les bourbiers qui prolifèrent à quelques kilomètres de la ville seulement. Le problème est ancien mais il se pose avec plus d’acuité aujourd’hui, étant donné l’accroissement de ces bourbiers. La raison ? Le système de traitement des eaux contaminées rejetées par le puits de gaz naturel au moment du forage montre ses limites. « Il n’existe pas de technologie sophistiquée pour traiter ces eaux. La seule solution qu’on a trouvé, pour le moment, c’est de réinjecter ces quantités d’eau dans des puits abandonnés. Dans notre jargon, on les appelle puits-poubelles ou puits-bourbiers », explique un géologue de la Sonatrach, qui préfère garder l’anonymat par peur de représailles. L’ingénieur en hydro-géologie avoue : « Aujourd’hui les « puits-bourbiers sont saturés ».
La faute, principalement, à une exploitation intensive des gisements découverts en 1956. Sous la houlette de Chakib Khelil, le ministère de l’Energie et des mines a décidé, au début des années 2000, d’augmenter les niveaux d’exportation de gaz naturel issu des puits de Hassi R’Mel, pour maximiser les revenus, au détriment de la pérennité du plus grand gisement africain de gaz conventionnel. Une dizaine d’années après, le constat, sur place, est alarmant. Tandis que les puits gaziers se vident, amorçant le déclin de Hassi R’Mel, les puits-bourbiers, eux, débordent. À tel point qu’ils ne parviennent plus à absorber les millions de litres d’eau s’échappant des puits forés, ce qui explique les vastes étendues d’eau polluées gisant aux abords des puits-bourbiers, révèlent des cadres de Sonatrach qui ont requis l’anonymat. Exposées ainsi à l’air libre, ces marres d’eau contaminée sont extrêmement nocives pour l’environnement, et les habitants de Hassi R’Mel, qui vivent à moins de 50 km des sites pollués, indiquent les ingénieurs de Sonatrach, qui ont accepté de témoigner de façon anonyme. Tout cela se déroule à l’abri des regards indiscrets. Pour accéder aux sites pollués, il faut nécessairement passer par le portillon d’entrée des méga-champs gaziers, surveillés par des gardiens de Sonatrach. Des champs gaziers qui sont, d’ailleurs, encerclés par des digues de terres.
La catastrophe écologique a pris davantage d’ampleur depuis que le traitement des eaux contaminées n’est plus le seul problème auquel fait face la compagnie pétrolière nationale. Ces dernières années, les bourbiers sont également alimentés par un mélange d’huile et de brut, sorti des puits forés. Un cocktail, hautement nocif, qui met en péril l’écosystème de la région de Laghouat, voire de tout le Sahara. « Au moment de l’extraction du gaz naturel des quantités d’eau, d’huile et parfois de brut remontent à la surface. Le gaz est stocké dans des stations de récupération, l’huile est traitée dans des Centres de traitement d’huile (CTH) et l’eau réinjectée dans les puits-bourbiers », souligne l’hydro-géologue de la Sonatrach.
Hassi R’Mel compte 5 stations de déshuilages. Aucune ne fonctionne correctement depuis plusieurs années, révèlent des cadres de la Sonatrach. La panne serait due à un problème de « maintenance des engins ». Or, le remplacement d’une pièce est un véritable casse-tête bureaucratique. « À la Sonatrach, on n’a pas le droit d’accorder des marché de gré à gré. On doit lancer des appels d’offre et sélectionner parmi au moins trois soumissionnaires », précise un contrôleur de l’automatisation des machines de Sonatrach, sous couvert de l’anonymat, craignant des représailles. La procédure dure généralement plusieurs mois. Certains employés prennent donc parfois l’initiative d’acheter des pièces défectueuses avec leurs propres moyens, révèle le contrôleur des machines.
« À In Salah, ce serait pire »
La direction régionale de Sonatrach n’ignore pas la situation. Alertée par la population locale, qui se plaignait de la disparition d’animaux domestiques ou sauvages, suite à leur consommation d’eau provenant des bourbiers, la Sonatrach a récemment installé des grillages autour des puits-poubelles. Mais les bourbiers ont continué à s’étendre et les grillages ne suffisent plus à contenir les quantités d’eau polluée.
À Hassi R’Mel, des cadres de la Sonatrach ne cachent pas leur inquiétude : la catastrophe écologique en cours dans la wilaya n’est qu’un aperçu de ce qui pourrait se produire à In Salah, si le gouvernement algérien opte pour la fracturation hydraulique des roches contenant du gaz de schiste. « À In Salah, ce serait pire. Au moins 30% des dizaine de millions de litres d’eau utilisées pour perforer la roche vont remonter à la surface. Cette eau sera contaminée par au moins une trentaine de produits chimiques, dont on ignore, pour certains, les effets sur la nature. Qu’est-ce qu’on va pouvoir faire de toute cette eau, alors qu’on arrive même pas à gérer la situation à Hassi R’Mel ? », interroge des ingénieurs de Sonatrach, qui disent ne pas comprendre la précipitation actuelle des autorités publiques pour l’exploration du gaz de schiste, alors que « 70% du gaz naturel restent encore à être exploités ». Ils pointent également du doigt le fait que le gaz de schiste est une ressource qui n’est, pour l’heure, « ni rentable, ni maîtrisée ». Et de conclure : « le gaz de schiste c’est pour les générations futures. Il n’y a pas de banque plus sûre que le sous-sol algérien »