Au huitième jour de la campagne, Annaba a accueilli le secrétaire général de l’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA) pour un meeting en faveur du président sortant. Peu motivés pour la campagne, les habitants de la Coquette ne se sont pas rués en masse au Théâtre Régional. Un one-man-show qui aura laissé tout le monde sur sa faim et un théâtre quelque peu bousculé.
Ce dimanche 30 mars, la Coquette s’est réveillée pratiquement en fanfare. De bout en bout, les affiches en faveur du président-candidat ont suscité à la fois curiosité et amusement de la part des habitants de la ville. Dans les points stratégiques, la présence policière était sensiblement renforcée. « Wech keyne, encore ? », a-t-on entendu ici et là. « Aou djay Sidi-Saïd taa l’UGTA », a-t-on alors répondu. Tout un dispositif était en place en faveur du leader syndical venu pour vendre la candidature du président sortant à un quatrième mandat. Depuis l’aéroport Rabah-Bitat jusqu’au centre-ville, policiers et gendarmes étaient postés sur les abords de la voie express de la RN44. Le meeting, prévu à 10 heures précises, dans l’enceinte du Théâtre Régional Azzedine-Medjoubi, n’a même pas incité les habitués à la chose politique à faire le déplacement jusqu’à l’intérieur. Dans le théâtre, l’omniprésence de portraits et d’affiches à la gloire du candidat Bouteflika aura même permis de faire oublier que cet espace est avant tout dédié à la culture. D’ailleurs, même les travailleurs du complexe sidérurgique d’El Hadjar ne s’y sont pas trompés. Et pourtant, nombreux sont ceux (et celles) à être affiliés à l’UGTA.
« Dans un pays civilisé, aucun syndicat ne donnerait des consignes de vote »
« Je ne comprends vraiment pas l’attitude de Sidi-Saïd, a fait remarquer l’un d’eux. Nous sommes des travailleurs, certes, mais chacun a le droit de voter pour qui il veut, voire ne pas voter du tout. Dans un pays civilisé, aucun syndicat ne donnerait des consignes de vote ». Dès 9 heures 30, c’était le branle-bas-de-combat à Annaba. Même pour le meeting de Louisa Hanoune, on n’avait pas vu cela. « Eh bien, ça promet, le jour où Sellal (le 9 avril prochain, ndlr) viendra ici », a soufflé un retraité qui sirotait tranquillement son café sur une terrasse du Cours de la Révolution. Les forces de l’ordre se sont alors mises en place pour réguler la circulation et laisser passer le cortège officiel. Et c’est à coup de fantasia et de musique folklorique de la région est, en l’occurrence la tobla et la zorna, que Abdelmadjid Sidi-Saïd est accueilli, sous les regards désabusés des Bônois, lesquels ne se sont pas déplacés en masse à l’intérieur de l’enceinte inaugurée en 1946 par un ministre français du nom de François Mitterrand. En revanche, des autocars ont fait le déplacement depuis essentiellement Souk-Ahras et surtout Tébessa. Qui était à l’intérieur ? Des syndicalistes ? De simples citoyens ? Difficile de trouver une réponse dans cet imbroglio imposé pour une élection qui intéresse peu de monde à Annaba. « Tout ça pour emplir le théâtre et faire voir sur l’ENTV et la fameuse Wiam TV, a fait remarquer un passant. Décidément rien ne va plus dans ce pays. De toute façon, impossible que le théâtre se remplisse même avec ça ».
Le choix de Bouteflika ? « Une courageuse décision du syndicat »
Et effectivement, le mythique théâtre de la ville de Saint-Augustin était plutôt clairsemé. Sur la scène du Théâtre Régional, le patron de l’UGTA a immédiatement scandé : « Bouteflika ! Bouteflika ! » Tonnerre d’applaudissements et de youyous. Et, debout, micro en main et délaissant son pupitre, il s’est lancé dans un discours qui s’est voulu à la fois partisan et syndical, dixit un des présents dans la salle. « Nous rendons par notre soutien un peu du bien que l’on a reçu mais plus que ça, nous avons choisi la stabilité qui permet au pays de connaitre le développement économique et social, et notre choix est dans l’intérêt du pays et du peuple, nous en sommes convaincus », a-t-il alors expliqué. Pour Abdelmadjid Sidi-Saïd, le choix du candidat Bouteflika a été « une courageuse décision du syndicat ». Puis, il s’est lancé dans une diatribe contre les autres candidats, sans les nommer, qu’il accuse d’attaques à l’égard du président sortant et de son bilan.
« Ce sont des animaux qui sont venus ici »
« Les insultes et l’invective n’ont rien à voir avec la démocratie », a-t-il dit. Plaidant la continuité d’un système considéré comme presque moribond par nombre d’enfants de l’antique Hippone, le leader syndical a quitté la salle à peine une demi-heure après le début du meeting suivi par des fans qui, visiblement avaient l’air de tout, sauf de syndicalistes et de travailleurs affiliés à l’UGTA comme il a tenté de faire croire. Une fois la foule partie, le théâtre avait l’aspect d’une zone dévastée. Mégots et crachats ornaient le hall du bâtiment, tandis qu’à l’intérieur, les tapis étaient salis et retournés. « Ce ne sont pas des êtres humains qui sont venus ici, s’est désespérée une authentique Bônoise, amoureuse de sa ville et de son théâtre. Ce sont des animaux. Je ne comprends pas comment après tout cela, ils veulent qu’on se rende en masse aux urnes le 17 avril prochain. De toute façon, mon choix est fait : c’est le boycott ».
Lakhdar Aït MohamedSalah, à Annaba