L’Algérie contemporaine offre l’image d’une société en pleine mutation, complexe et plurielle, à la frontière de l’Orient et de l’Occident. Des clichés à la réalité, c’est un pays qui soulève toutes les passions, et interroge. Rencontre à Alger avec des expatriés.
Une culture méditerranéenne
Tous s’accordent sur le caractère méditerranéen de la personnalité algérienne, et cela sur plusieurs plans. Certains me parlent de géographie, de climat, d’un environnement hédoniste propice à la vie telle qu’on devrait la vivre. Et d’autres évoquent la tendresse, la chaleur de la population locale.
Pierre, sociologue de formation, évoque une Algérie gorgée de soleil, belle, joyeuse, chaleureuse : « l’Algérie de mes pensées est née de mes voyages littéraires : j’y vois surtout Camus, l’été, à Alger, savourer la vie à l’ombre d’un olivier, sur une place donnant sur la mer ». Il me raconte le décalage entre cette vision romantique et la réalité brute de la terre algérienne : « le décalage existe, forcément, mais dans chaque coin d’Alger on peut retrouver les mêmes lumières, les places d’ombre, le bruit des cigales le matin ».
C’est la chaleur d’Alger qui revient le plus souvent dans les témoignages : la chaleur de la ville, bien sûr, mais surtout celle de ses habitants, « tendres, hospitaliers, avenants, toujours prêts à vous tendre la main », me dit Louise, une jeune grand-mère redécouvrant le pays de son enfance, quitté après l’indépendance. C’est une Algérie poétique et esthétique qu’elle évoque ensuite : « j’avais cette image d’un art ‘arabe’ qu’on retrouve ici, avec son architecture, ses mosaïques, ses côtés mauresques, tout ça est somptueux ».
Famille et chaleur humaine
L’histoire de Louise, née dans la région oranaise à la fin des années 1940, est émouvante : « Je suis revenue en Algérie en 2012, et j’étais accueilli comme jamais par la population algérienne. Les gens sont adorables. Tout le monde me disait, ‘vous êtes ici chez-vous’, c’était vraiment l’Algérie magnifique que j’avais quittée ».
Anna, doctorante en droit, travaille à l’ambassade d’Autriche, et a retrouvé l’Algérie telle qu’elle lui fut dessinée par ses amis algériens, rencontrés à Paris quand elle y a étudié : « les personnes sont ouvertes et chaleureuses, c’est comme cela que je les avais imaginées ». Dans cette même perspective, Bénédicte, qui travaille pour le secours catholique, nous livre cette image altruiste de l’Algérie : « on a toujours ce cliché, un peu orientaliste, d’un Occident individualiste et d’un Orient tourné vers la famille, vers le collectif, mais je pense qu’il y a une part de vérité ».
Au-delà des clichés, ces dames me parlent aussi d’une Algérie plurielle, non réductible à une seule culture ou à un seul ethos : « L’ouest et l’est du pays me semblent complètement différents » me raconte Louise, « Constantine m’a paru moins progressiste qu’Alger » me dit Bénédicte.
Une certaine vision de la femme
Elles s’interrogent aussi sur les droits et la position sociale de la femme au sein de la société algérienne. Elles ont vécu des expériences similaires.
Elles furent agréablement surprises par les Algéroises, par la diversité des tenues et par le goût local. En revanche, ne connaissant pas encore tous les codes de la société algérienne, elles redoutent le regard et le jugement des hommes dans la rue : « on ne se sent pas forcément à l’aise » m’explique Bénédicte. Anna, elle, me raconte qu’elle est régulièrement klaxonnée par les voitures, et qu’elle a déjà été suivie pendant plus d’une heure par un homme dans la rue : « je ne suis pas toujours rassurée, cela fait un peu peur parfois ».
A travers ces problématiques, ce sont des questions plus larges, notamment liées au rôle de la religion dans l’espace public, qui sont soulevées. Henri, chercheur en histoire, nous offre lui un avis bien plus tranché : « Je trouve que la religion est trop présente. Mais c’est mon regard de vieux ‘laïcard’, je ne compte l’imposer à personne, et je comprends tout à fait qu’on puisse penser autrement ».
La chute des prix du pétrole : une opportunité à saisir
L’état de l’économie algérienne soulève lui aussi certaines interrogations, mais la plupart des étrangers présents à Alger sont optimistes. Anna voit la chute des prix du pétrole comme une opportunité que l’Etat doit saisir : « la situation des hydrocarbures peut paraître inquiétante, mais c’est une occasion historique pour diversifier l’économie du pays ».
Du côté des ambassades étrangères, les services commerciaux regrettent une machine bureaucratique qui bien souvent limite l’implantation et l’investissement des entreprises étrangères sur le sol algérien ; Anna m’explique : « l’Algérie est un marché vraiment intéressant, et nous aimerions beaucoup investir dans certains secteurs, dans l’agro-alimentaire, la construction, les transports publics, mais il faut être très présent sur le territoire pour que ces projets aboutissent ».
Au-delà de la culture économique algérienne, c’est la situation sociale et les inégalités croissantes entre les citoyens algériens qui sont préoccupantes : « c’est ce qui m’a frappé quand je suis venue ici pour la première fois, les voitures magnifiques, les bagnoles toutes cassées à côté, on a l’impression que toute une frange de la population est marginalisée », confie encore Anna.
Sécurité et terrorisme
En France, depuis l’attaque de Charlie Hebdo, l’ambiance est à l’anxiété générale, notamment en ce qui concerne l’Islam, et cela se répercute sur l’image des pays du monde musulman, qui souffrent des nombreux amalgames.
Pierre me parle de Soumission, le dernier livre de Michel Houellebeck : « On peut critiquer Houellebeck autant que l’on veut, mais il décrit une situation que de nombreux français ressentent vis-à-vis de l’Islam, et le dernier bouquin de Boualem Sansal va dans ce sens». Henri, le jeune historien, n’est pas d’accord : « toute cette propagande sur l’Islam politique sert les intérêts d’un Etat qui tend vers l’autoritarisme, un régime liberticide nous tend les bras en France, et c’est justement ce genre de régime que les Algériens redoutent aujourd’hui».
Malgré leurs désaccords, c’est un portrait d’un régime peu démocratique que nous décrivent les deux chercheurs : « personne ne nie la farce politique qui se joue dans les salons d’Alger, pas même la presse nationale, mais le peuple n’a rien à se reprocher, chacun fait ce qu’il peut à son niveau, surtout quand on voit la tournure que prennent la plupart des soulèvements populaires actuels».
Dans ce monde en transition, dans cette région bénie des dieux, cette Algérie plurielle, conservatrice et libérale, occidentale, orientale, méditerranéenne, fascine, interroge, et s’interroge : quel avenir pour demain ? La balle est dans son camp.
Reportage réalisé par Tahar. M