Ramadhan oblige, les Algériens de Marseille sont rentrés pour la plupart au bled. Mais ceux qui ont fait le choix de rester n’ont pas le mal du pays. Reportage dans le quartier de Noailles, la « petite Algérie » aux milles visages de la cité phocéenne.
De notre envoyée spéciale à Marseille
« Aatini celles-là, nbghit celles-là », insiste la cliente, une blonde peroxydée habillée d’une djelabba noire. Lahcen s’exécute l’air bougon et lui tend une boîte de dattes « Tolga » : « Je t’aurais prévenu, elles ne sont pas encore taïbin« . Mi-français, mi-darja, ici on se hèle, on se tutoie et on se dispute. Ici ce n’est pas les halles couvertes de Meissonier, le quartier populaire situé au centre-ville d’Alger, mais le marché au quartier de Noailles, en plein coeur de Marseille.
Originaire de Tlemcen, Lahcen, les cheveux grisonnants, passe son 24è Ramadhan à Marseille, derrière ses étales à fruits et légumes. Il est donc rompu à l’exercice. « J’ai fait le plein de coriandre, de menthe, de presil et de fruits secs », raconte ce primeur, qui tient boutique à l’angle entre la rue du marché des Capucins et la rue Papere.
Mais cet après-midi, ça ne se bouscule pas devant les marchandises de Lahcen. « C’est comme ça pendant le Ramadhan à Marseille. Les gens repartent au bled pour être en famille. Le commerce ralentit. Et ceux qui restent ne font pas leurs courses avant 17 H », observe ce primeur algérien.
Habituellement bondée et bruyante, la place du marché des Capucins est plongée les après-midi de Ramadhan dans un calme reposant. A l’ombre des parasols, les vendeurs de fruits et légumes piquent du nez, profitant de cette accalmie « ramadhanesque ». Cette fois-là, l’un d’entre eux roupille sur deux chaises, un chapeau en paille sur le visage.
Le marché de Noailles se la coule douce jusqu’à l’approche du Maghreb, explique Lahcen. Mais quelques minutes avant la tombée de la nuit, les jeûneurs marseillais déferlent par centaines sur la place des Capucins à la recherche de l’ingrédient qui manque à leur recette. « Le rythme est complètement inversé pendant le Ramadhan », fait valoir le primeur algérien.
Horaires aménagés
Si Lahcen a maintenu ses horaires habituelles, ce n’est pas le cas de la boulangerie de la place des Capucins. Derrière le comptoir, Amena, une jeune Tunisienne détaille : « Au lieu de commencer à 6 H du matin, comme d’habitude, pendant le Ramadhan, on ouvre à 8 H et on finit un peu plus tard, vers 21 H, juste avant le Maghreb ». Et de poursuivre : « En temps normal, le matin ont fait trois charriots de pains mais là on en remplit à peine un. Du coup les horaires du boulanger aussi sont décalés. Il commence à 5 H au lieu de 2 H du matin ».
Dans la boulangerie où travaille Amena, ce n’est pas seulement les horaires qui changent durant le mois de Ramadhan. « On vend des pâtisseries orientales, chose qu’on ne fait pas tout au long de l’année. Et aussi les variétés de pains ne sont pas les mêmes. Pendant le Ramadhan, on diminue la quantité de baguettes françaises, qui se vend mal durant cette période, et on propose des pains briochés pour le shour« , précise la vendeuse.
Dans le quartier de Noailles, la boulangerie du marché des Capucins n’est pas la seule à s’adapter au mois de jeûne. Nombreux, les snacks autour de la place du marché ne servent plus des sandwichs et pizzas mais des gâteaux arabes. A l’intérieur, les chaises et les tables sont empilées les unes sur les autres et rangées au fond de la salle, transformée en cuisine. On y prépare des plateaux entiers de kalbelouze et de la zlabia, entre autres, avant de les vendre à l’entrée du snack. Certains fast-food proposent même de la schorbet artisanale, vendue dans des bouteilles d’eau « Cristaline ». Derrière la caisse, Malek, un Algérois originaire du quartier de Kouba, explique : « C’est une question de survie. Si on ne s’adapte pas, on est obligé de fermer pendant le Ramadhan ».
« Ici c’est comme au bled pendant le Ramadhan… enfin presque »
Lorsqu’on demande à Malek si l’Algérie lui manque, notamment durant le mois sacré du Ramadhan, le jeune homme, vêtu d’un polo Lacoste, sourit. « Ici c’est comme au bled pendant le Ramadhan… enfin presque …. », glousse-t-il, en jetant un coup d’oeil au café d’en face.
Dans ce décor ramadhanesque, importé de l’autre côté de la Méditerranée, le « Numéro 10 » apparaît comme une anomalie sur la place du marché des Capucins, qui vit au rythme du mois sacré. En terrasse, couples et amis savourent un café, tirent sur leurs clopes et bavardent à tue-tête.
Venu de Mostaganem en 2007, Mohamed s’étonne encore du brassage culturel qu’engendre le quartier de Noailles, habité par des Maghrébins, des Comorriens, des Italiens. « En Algérie, c’est simple, tout le monde jeûne et les cafés sont fermés. Ici, ils restent ouverts, les gens boivent et mangent dans la rue et les femmes s’habillent très court », décrit-il.
Pour Mohamed, qui tient l’alimentation générale les « 4 saisons » sur la place du marché, rien ne saurait remplacer un Ramadhan en Algérie. « C’est vrai on a de tout ici », dit-il, en pointant du doigt les packs de Ngaous et Ifri qui traînent sur le sol de sa boutique. « Mais en Algérie, il y a une saveur unique et indescriptible qui nous manque à tous », confie-t-il.
Nordine, un adolescent d’origine algérienne, qui sert des tranches de kalbelouze sur la place du marché, nuance. « La nuit c’est comme au bled. Après le ftour, on sort dans le quartier, il n’y a plus une seule chaise de libre dans les cafés. Mais l’ambiance n’est plus comme avant depuis qu’ils [ndlr les autorités locales] nous ont interdit de faire des ftour sur la place publique », dit-il, avant d’ajouter, chauvin : « Mais Marseille c’est la petite Algérie, la meilleure ville où faire le carême en France ».