L’élection présidentielle algérienne a à peine commencé mais elle intrigue d’ores et déjà le monde entier, notamment le Maghreb. Les pays voisins de l’Algérie suivent de près ce rendez-vous électoral, surtout depuis que Abdelaziz Bouteflika a décidé de présenter sa candidature. Également concernés par cette échéance politique, que pensent nos voisins maghrébins de notre élection ?
L’élection présidentielle algérienne ne fait pas encore les gros titres des médias maghrébins, mais, malgré tout, elle intéresse les pays frontaliers. Le sujet commence timidement à s’inviter dans les conversations des Tunisiens, des Marocains et des Mauritaniens. Et pour cause, chacun reconnaît l’enjeu régional de cette échéance électorale nationale. “L’élection présidentielle algérienne a un impact crucial sur la région du Maghreb. Le monde et surtout le Maghreb regardent ce qui s’y passe”, estime ainsi Ibou Badiane, journaliste mauritanien, rencontré à Tunis.
Les yeux rivés sur l’Algérie mais surtout sur le Président sortant
C’est d’abord l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika qui interpelle nos voisins maghrébins. Ira, ira pas ? Ils s’étaient eux aussi longtemps posé la question. Rédacteur en chef à la Nouvelle Expression, un quotidien mauritanien, Ibou Badiane avait lui misé sur l’absence du chef d’Etat algérien au rendez-vous électoral du 17 avril prochain. “J’étais convaincu compte tenu de ses problèmes de santé qu’il ne se représenterait pas. Je doute qu’il ait la capacité physique et intellectuelle d’assumer un nouveau mandat”, considère Ibou Badiane.
La décision d’Abdelaziz Bouteflika a surpris également en Tunisie. “Je pense que la situation en Algérie est absurde. Abdelaziz Bouteflika est très malade et ça se voit. Pourquoi une personne très âgée et très malade souhaiterait présenter sa candidature à la présidentielle ?”, s’étonne Maroua Gabsi, journaliste tunisienne pour le site d’information Tunis Info.
Mais l’état de santé du Président Bouteflika, qui n’a pas donné de discours depuis quasiment deux ans, n’est pas le seul détail qui inquiète nos voisins maghrébins. La longévité d’Abdelaziz Bouteflika, qui entame sa 15ème année à la tête du pays, est également fortement critiquée ailleurs au Maghreb. “Ce qui me choque le plus ce n’est pas qu’il soit malade mais qu’il se représente pour une quatrième fois ! C’est la folie des dictateurs, ils pensent toujours plus au pouvoir qu’à l’intérêt de leurs peuples”, s’indigne Lina Ben Mhenni, militante tunisienne pour les Droits de l’Homme et figure de la “Révolution de jasmin”.
Même constat pour Aboubakr Jamai, journaliste marocain et co-fondateur du site Lakome. “Je pense qu’un 4e mandat pose problème car votre Président est très malade. Mais le plus inquiétant n’est pas son état de santé mais le fait que ce soit un 4e mandat, c’est trop. Nous sommes dans une monarchie exécutive, comme au Maroc dans ce cas-là”, explique-t-il. “L’Algérie n’est pas un système démocratique, dès l’instant où il y a un gros appareil sécuritaire dominant. Or les autorités sécuritaires n’ont pas à faire de la politique, leur travail est d’assurer la sécurité et c’est tout”, ajoute Aboubakr Jamai. “Bouteflika semble indélogeable, ça ressemble plus à une monarchie comme la nôtre qu’à une République”, compare Mouna Izddine, rédactrice en chef du magazine Femina au Maroc.
Si l’Algérie ne peut être cataloguée comme un pays démocratique, le régime politique algérien est-il devenu monarchique pour autant, comme l’analyse une partie de la presse nationale ? Non, la probable reconduite de Bouteflika au sommet de l’Etat est moins le signe d’une dérive monarchique du régime que “d’un blocage et d’une corruption de la vie politique”, soutient Mountassir Sakhi, membre actif du mouvement du 20 février au Maroc. “Cette candidature vient montrer de près que les rapports de force continue à se jouer au sein d’une élite restreinte qui maintient le statu quo afin de maintenir des profits, des intérêts et des avantages au détriment des populations paupérisées et surtout exclues du jeu politique”, analyse cet étudiant à l’EHESS à Paris. “Le roi au Maroc, à l’instar de Bouteflika en Algérie, n’est qu’un élément au sein d’une classe profitant de la situation globale et du mode de gouvernance établi.”, ajoute-t-il.
Les motivations d’Abdelaziz Bouteflika, 76 ans, laissent perplexes les personnes interrogées. Epuisé par une longue carrière politique et par la maladie, où trouve-t-il encore la volonté de se maintenir au pouvoir ? Est-il manipulé par son entourage ? Autant de questions que se posent aussi nos voisins maghrébins. Pour Maroua Gabsi, il ne fait aucun doute que le Président Bouteflika est une marionnette manipulée par un clan qui a tout intérêt à garder l’homme vieillissant à la tête de l’Algérie. “Le Président algérien est entre les mains d’un pouvoir invisible. Il y a forcément des personnes derrière lui qui souhaitent qu’ils se présentent”, soupçonne cette jeune tunisienne. Même soupçon du côté du Maroc. “Nous avons l’impression que ce sont les mêmes qui tirent les ficelles : les caciques du FLN, les généraux de l’armée ou les partis proches du pouvoir. Cette élection je la vois comme une mascarade, dans laquelle le peuple algérien est toujours perdant”, estime ainsi Mouna Izddine.
Boycotter ou voter ?
Boycotter ou voter, à l’instar des Algériens, les populations des autres pays maghrébins se demandent eux aussi quelle attitude adoptée à moins de deux mois du scrutin présidentiel algérien. Ils s’imaginent facilement à la place de l’électeur algérien, puisque dans leurs pays respectifs, les élections présidentielles souffrent également de contestations. Malgré les suspicions et une classe politique ankylosée, le rendez-vous électoral du 17 avril n’est pas “une mascarade” pour le journaliste mauritanien Ibou Badiane, qui encourage les électeurs algériens à voter. “Il y aura des inspecteurs de l’Union européenne et de la Ligue arabe pour contrôler l’organisation du vote. Il ne faut pas être démissionnaire. Refuser de voter c’est accepter ce statu quo. La voix d’un citoyen c’est sa carte de vote. Les leaders algériens comprendront bientôt, comme certains de leur voisin avant eux, qu’un électeur peut les faire dégager en utilisant sa simple carte de vote”, lance-t-il. Un appel au vote repris en Tunisie par l’activiste de la “Révolution du jasmin” Lina Ben Mhenni. “Le vote reste la meilleure manière pour les citoyens algériens de se faire entendre. Je comprends le traumatisme des Algériens et qu’après avoir vécu la décennie noire ils ne veulent pas faire comme nous et renverser le régime par des manifestations de rue”, explique cette militante tunisienne.
Face à ceux qui prônent une participation au scrutin du 17 avril, d’autres appellent à la formation “d’un bloc des abstentionnistes”. C’est le cas Mountassir Sakhi. “Le choix de l’abstention doit relever d’une véritable riposte politique, avec un mot d’ordre, et non pas seulement comme une action “routinisée”, affirme ce membre actif du mouvement du 20 février au Maroc. “L’abstention ne doit pas seulement exprimer le dégoût des populations et une défiance vis-à-vis des institutions mais doit se présenter comme une réponse favorable aux appels des collectifs, des jeunes, des partis de l’opposition”, ajoute cet étudiant marocain.
Protester plutôt que laisser couler
Au lendemain de l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, la contestation a commencé à reprendre sa place dans les rues algériennes. Un signe positif pour nos voisins maghrébins, qui souhaitent voir les Algériens réinvestir l’espace public. Une ambition qui se concrétise depuis ce week-end, durant lequel un mouvement anti-4e mandat a été initié, notamment par des jeunes algériens. Ils appellent à la mobilisation contre la réélection du Président sortant et souhaitent que ce dernier retire sa candidature. “Ce mouvement n’en est encore qu’à ses débuts. J’espère qu’il ne se limitera pas à une réaction et qu’il se détachera des clivages existant au sein du pouvoir central. Il faut que cela soit autonome des pouvoirs et de ceux ayant des intérêts à défendre au sein et à travers le régime actuel. Il ne faut pas pointer le seul régime et sa tête comme fut la chose en Egypte”, tranche Mountassir, qui dit avoir suivi la naissance de ce mouvement sur les réseaux sociaux.
Le candidat idéal ?
Interrogés sur le type de candidat que méritent les Algériens, nos voisins partagent un avis commun : ce doit être un candidat de l’opposition. Les personnes interrogées en sont persuadées : une alternative crédible au Président Abdelaziz Bouteflika, qui tient les rênes de l’Algérie depuis 14 ans, existe. Néanmoins, ce n’est pas en la nouvelle génération d’hommes politiques que nos voisins maghrébins voient une relève possible. Ils citent plutôt spontanément la vieille garde politique algérienne, “comme les Zeroual, Yahiah, Benflis”.
Leur portrait-robot d’un chef d’Etat idéal ? Le Président algérien doit avant tout être en mesure de jouer un rôle diplomatique de premier plan dans la région. “L’Algérie est un pays puissant au Maghreb, elle dispose d’une aura particulière. Elle a une position stratégique pour régler des conflits comme au Sahel ou au Mali. Le Président algérien doit donc être en mesure de se déplacer et d’assister lui-même au sommet et non pas envoyer seulement son ministre des Affaires étrangères”, souligne Ibou Badiane.
Du côté de la Tunisie, on insiste davantage sur l’âge du Président et sur ses compétences diplomatiques et de technocrate. “Peu importe que ce soit un homme ou une femme. Mais cette personne ne doit pas être trop âgée mais doit bien évidemment disposer d’une expérience politique, tel qu’un diplomate. L’Algérie pourrait également avoir besoin d’un leader économique qui a l’ambition d’offrir un avenir économique à ce pays. Il est indispensable que ce candidat soit garant des droits de l’homme. En somme un candidat qui sera là pour corriger tout ce qui ne va pas dans le pays”, estime Maroua Gabsi.
Au Maroc, c’est la qualité de rassembleur qui prime. “J’espère que l’Algérie va émuler la Tunisie, et que nous tous allons l’émuler. Opter pour la tolérance, et qu’un leadership algérien qui arrive à dépasser l’héritage de la décennie noire émerge. Le pays a besoin d’un leader qui tolère la vision islamiste mais qui comprenne également la dimension démocratique”, estime ainsi Aboubakr Jamai.
Pour tous, l’issue de cette élection est déterminante pour l’avenir de la région. “Le résultat de l’élection présidentielle algérienne est très attendue en Mauritanie et ailleurs en Afrique du nord car on attend du nouveau Président algérien de se saisir de certains dossiers, comme la situation précaire de la Libye et la renaissance de la Tunisie”, conclut Ibou Badiane.
Amina Boumazza et Djamila Ould-Khettab