Comment vivre sa passion de la moto dans le pays de la voiture ? Même en Algérie, où les voitures presque aussi nombreuses que les habitants, les motards parviennent à se faire une petite place. De plus en plus nombreux, quelles routes empruntent-ils pour sillonner le pays à bord de leurs cylindrées ? Reportage.
Un gros bruit retentit dans Blida. Une nuée noire et grise, puis coloré apparaît à l’horizon et vient compléter ce bruit fracassant. Quand tout d’un coup la nuée se matérialise, 1,2,3… impossible de compter, il s’agit d’une équipe de motards qui ont pris d’assaut l’autoroute de Blida, plus précisément à Ouled Yaich. Une cinquantaine de motards sur leur grosse cylindrée forment une parade impressionnante. Blouson de cuir, casques brillants et lunettes de soleil, ils étaient fiers de faire rugir leur moto à l’occasion de la « Charity parade », organisée par la marque Harley Davidson le 26 octobre dernier. Ils étaient nombreux à s’être réunis à l’occasion de cette journée caritative en faveur de la lutte contre la faim dans le monde. « Nous sommes là pour aider le Programme alimentaire mondiale des Nations Unies (PAM), mais aussi pour se réunir autour de notre passion, la moto », explique Abdelghani, le « chapter », responsable du club officiel de moto Harley Davidson.
Les motards en Algérie profitent de chaque événement pour pratiquer de la moto car les occasions sont encore rares. Qui l’eut crû qu’un tel spectacle ait lieu en Algérie ? Le pays compte bel et bien un grand nombre d’aficionados des deux roues. D’ailleurs de nombreux clubs ont vu le jour ces dernières années. Un fait surprenant au regard de l’état des routes algériennes et de l’insécurité routière qui règne en Algérie.
Une passion, un sport et désormais une économie
La moto est une activité qui possède mille facettes : passion pour les uns et sport pour les autres, la discipline séduit de plus en plus les Algériens, remarque la ligue algérienne des sports mécaniques. En effet les marques de motos investissent de plus en plus le terrain algérien, ce qui a popularisé cette activité. Il était difficile auparavant de se procurer des motos et tout le matériel de protection nécessaire mais l’arrivée des concessionnaires motos ont facilité la tâche de ces nouveaux pilotes. « Autrefois les motos étaient vendues de manière anarchique sans respect des normes de sécurité, puis des grandes concessions ont décidé d’investir le marché algérien ces dernières années. C’est la preuve qu’il y avait un potentiel », affirme Chiheb Baloul le président de la fédération algérienne des sports mécaniques.
Même son de cloche chez Harley Davidson, « il y a toujours eu des fans de la marque. De nombreux Algériens se rendaient aux Etats-Unis pour récupérer des pièces pour leur harley. Désormais ils ont tout sur place », explique Saker Kheireddine, directeur de la distribution de la marque américaine en Algérie.
BMW, Kawasaki, Yamaha installée depuis mars 2013 à Alger, ou encore la mythique marque Harley Davidson qui a ouvert ses portes il y a un an à peine à Blida. Leurs ventes auraient nettement augmenté ces dernières années. On compte désormais 60 000 motos de différentes marques et de différent type importées annuellement en Algérie. Toutefois même l’importation n’arrange pas les motards qui doivent payer 52% de taxes pour faire entrer leur moto sur le territoire algérien, et même le matériel de sécurité est taxé. Les concessions avaient donc tout intérêt à s’installer sur le territoire algérien.
De la difficulté d’exister
La moto est donc devenue un sport et même, un marché à part entière en Algérie. Au total la fédération des sports mécaniques compte 33 clubs et 9 ligues de motos agréés, qui accueillent de nombreux passionnés de la moto, hommes comme femmes. La fédération chargée d’encadrer ce sport périlleux note un engouement croissant pour les deux roues ces dix dernières années, mais reconnaît qu’il est difficile aujourd’hui encore de déterminer un nombre précis de motards algériens. Si quelques uns pratiquent toute l’année et sont devenus spécialistes de cette discipline d’autres ne se contentent de la moto comme d’un loisir. Il est donc évident que le nombre de motards ne cesse d’évoluer, mais l’Algérie est-elle réellement prête aujourd’hui à accueillir un sport tel que la moto ? Pas si sûr puisque le cadre dans lequel elle est pratiquée n’a quasiment pas bougé.
Une réalité qui gêne les motards dans le développement de ce sport mécanique. Ces derniers déplorent surtout le manque d’événement et d’organisation autour de cette activité qui regroupe pourtant de nombreux pilotes. En effet, la fédération algérienne des sports mécaniques reçoit chaque année de maigres subventions de la part du Ministère de la Jeunesse et des Sports, et en plus elle ne sert pas à financer les clubs et ligues. C’est la wilaya qui a ce rôle, et « elle attribue 150 000 dinars annuels aux ligues pour leurs activités. Que voulez-vous faire avec cette somme ? », s’interroge M. Baloul.
Ainsi même si de nombreux rallyes et rencontres sont organisés au niveau national, il faut souligner que ces compétitions ne sont prises en charge qu’à moitié par la fédération nationale, et là encore les motards ont des frais à assumer. « Par exemple lorsque nous avons fait le rallye Alger-Tamanrasset, nous avons parcouru quand même 2000 km ! Et bien nous avons dû payer nous-mêmes notre essence. Je veux dire par-là que rien n’est fait pour faciliter notre participation, et c’est la preuve que nous faisons ces courses par amour de ce sport », raconte un motard du club de Boumerdes qui estime que ce sport mécanique n’est pas encore entièrement reconnu. « Même les prix de ces rallyes sont dérisoires. Pour 2000 km parcourus, le gagnant ne remporte que 20 000 dinars, c’est à peine le prix d’un pneu d’une moto qu’il faudra changer au retour ! »
Auparavant ces détails, comme le paiement de l’essence ou de l’assurance, étaient assurés par la fédération algérienne des sports mécaniques, mais le manque de moyens financiers les a forcés à arrêter. Quant aux clubs ils ont beaucoup de mal à réunir des sponsors dans ce domaine.
Dangers (in)contrôlés ?
L’autre faiblesse de cette activité pour ces Algériens est l’insécurité à laquelle les conducteurs de moto doivent régulièrement faire face. L’Algérie, l’un des pays aux routes les plus meurtrières au monde ne permet pas de vivre pleinement ce sport mécanique. Sur l’autoroute, les clubs de motos encouragent et prévoient des sorties en groupe, mais c’est très compliqué. « Nous sortons seulement avec des connaisseurs de la moto et par groupe de 15 et nous roulons en deux files indiennes. Il est indispensable de porter un casque, des gants et de respecter le code de la route. De cette manière on prend moins de risques, on s’avertit les uns et les autres des dangers rencontrés. Car vous avez pu le voir les automobilistes n’ont aucun respect pour les deux roues, et cela peut s’avérer périlleux », explique Abdelghani Mechotu, chapter du club Harley Davidson. En effet, un tour avec les motards de la « charity parade », sur l’autoroute de Blida organisée par la marque américaine, nous prouve que les motards prennent régulièrement des risques. Entre les crevasses sur les routes, et les voitures qui doublent sans s’annoncer ou qui ne respectent pas les distances de sécurité, les routes algériennes sont un nid très dangereux.
De son côté, la fédération algérienne des sports mécaniques assure que lors d’organisation d’événements, elle parvient à obtenir des parcours sécurisés, mais reconnaît que l’autre danger est le comportement de certains motards. « Certes nous sommes là pour encadrer les motards de tout le pays, mais nous avons au sein de notre fédération des motards issus de plusieurs wilayas, Alger, Boumerdes, Biskra, Tamanrasset. C’est donc difficile de canaliser tout cela, lorsque l’on dispose de peu de moyens. Il n’existe aucun circuit pour les motards, ce qui développe dans les milieux urbains des comportements dangereux », déplore le président de la fédération algérienne. Pour preuve, ce dernier nous montre une vidéo dans laquelle on voit « un motard sauvage » rouler sur une seule roue pendant plusieurs kilomètres de l’autoroute de Zeralda, située dans la banlieue Ouest d’Alger. Au compteur, 220 km/h. Une course qui serait sans conséquence pour un spécialiste de la moto si elle se faisait sur un circuit fermé.
Sur l’autoroute, il s’agit d’un geste suicidaire. Des motards comme le pilote de la vidéo, ils sont nombreux en Algérie, « que voulez-vous ces personnes ont besoin de s’exprimer.Ils ne disposent d’aucun circuit fermé dans le pays, alors ils se contentent de ce qu’ils ont, au péril de leur vie », explique Chiheb Baloul. Ce dernier lance un appel aux autorités pour qu’elles prennent en compte la sécurité des motards mais également aux concessions afin qu’elles investissent dans ce milieu. Une sorte de « gagnant-gagnant » pour ceux qui pratiquent la moto et ceux qui la vendent, qui permettrait aux deux parties de faire vivre ce marché et cette discipline. Toutefois, les motards algériens ne s’arrêtent pas ces problèmes financiers, et continuent coûte que coûte à sillonner l’Algérie, notamment les zones rurales et les routes du désert. Le prochain regroupement national sera la route Alger-Tamanrasset pour se réunir autour du festival national de la moto.