A l’occasion du défilé traditionnel du 14 Juillet 1958 sur les Champs Elysées, le 5ème bureau de l’armée française, chargé de l’action psychologique et dirigé par le colonel Godard, avait réuni 4000 Algériens pour participer aux festivités à Paris. Il promettait de montrer à l’opinion internationale les résultats de «la fraternisation». Le 14 Juillet, fête de la Révolution française de 1789 est donc célébré chaque année. Au programme, un défilé militaire de tous les corps d’armée, celui de l’Armée d’Afrique, comme les tirailleurs algériens, sénégalais, les harkis, celui de la jeunesse et aussi la masse des notables représentant les colonies.
Devant la tribune officielle, il y avait les membres du gouvernement français à sa tête le général de Gaulle, les «officiels» des territoires d’Outre-mer», des personnalités de différents horizons et aussi du corps diplomatique accrédité à Paris. Comme à l’accoutumée, le défilé militaire débutait avec fanfare sous un soleil de plomb. Depuis la tribune et des deux côtés du parcours, les Parisiens applaudissaient. Dans le ciel, la patrouille de France, formée de plusieurs escadrilles, laissait derrière elle, des panaches de fumée tricolore ou formait la Croix de Lorraine, le symbole de la Libération.Ce fut le tour des 4 000 Algériens; les officiels français étaient fiers «de montrer à la face du monde» que les Algériens sont du côté de la «mère patrie» et que les «égarés de la montagne ne représentent qu’eux-mêmes». Ils ont voulu que le message soit clair, comme ils l’espéraient pour les diplomates présents et surtout pour l’opinion internationale qui s’éloigne du camp de la France et qui exprime sa sympathie pour le peuple algérien en guerre pour son indépendance.
Ce fut le cas notamment du sénateur Kennedy, des pays de l’Europe de l’Est, des pays non alignés, des pays arabes…
Mais lorsqu’ils arrivent devant la tribune officielle, il y eut un coup de théâtre! Un jeune en culotte courte et chemisette blanche, sortit des rangs et s’approcha de la tribune officielle, en brandissant au nez des officiels présents le drapeau algérien! Quel courage! Il savait que ce geste pouvait lui coûter la vie, mais pour l’Algérie il était prêt au sacrifice suprême. Une onde de choc envahit les occupants de la tribune officielle et les spectateurs. Le drapeau algérien est exhibé pour la première fois au défilé des Champs Elysées !Le service d’ordre est aussitôt intervenu, empoignant le jeune homme pour le conduire loin de la foule et peut-être pour le remettre «aux services concernés» qui le soumettront à la torture.
Pendant qu’il est conduit de force, des agents commençaient à le maltraiter. C’est à ce moment là qu’un haut responsable de la Croix-Rouge internationale est venu es-qualité à son secours afin de convaincre les agents de ne pas lui infliger des sévices. Ce fait héroïque sera rapporté par des agences de presse françaises et étrangères. Nous apprendrons et le monde aussi en même temps que nous qu’il s’agit du jeune Tidjini Mohamed âgé de 17 ans (né en 1941 à Belcourt) qui a bravé le pouvoir colonial devant des officiels français et étrangers, ainsi que des centaines de milliers de spectateurs. Un tel acte a eu alors beaucoup plus de retentissement qu’une action militaire d’envergure de l’ALN dans les djebels. Il a permis, depuis la capitale française, de faire entendre la voix du peuple algérien en lutte pour son indépendance par l’intermédiaire de l’un de ses jeunes patriotes.
Les autorités militaires françaises ne pouvaient que libérer le jeune Tidjini, puisque des témoins l’ont vu lorsqu’il fut «embarqué» par la police. Il sera relâché quelques jours après. Et Tidjini Mohamed ne pouvait rester à Alger, car il risquait d’être repris et assassiné.Et puis, il ne pouvait résister à l’appel de la montagne pour aller rejoindre ses frères.Mohamed Tidjini a intégré les rangs de l’ALN dans les maquis de la Wilaya IV. Il ne survécut pas à la guerre comme des milliers de jeunes de son âge. Il est tombé au champ d’honneur vers la fin de l’année 1961 dans la région de Lakhdaria.
Lu sur l’Expression