Algérie : « a-t-on vraiment besoin d’un président de la République ? »

Redaction

En décembre 1978, Houari Boumediene (président de l’Algérie de 1965 à 1978) meurt. Mais avant sa mort, il tuera la vérité : les médias, sous contrôle policier stricte, « promèneront » longtemps les algériens entre « bonnes nouvelles », démentit des rumeurs, messages confiants, avant l’annonce du décès. Du coup, on y apprend l’essentiel de ce qu’on apprend avec les propagandes : croire leur contraire. Des années après, en 1999, c’est Abdelaziz Bouteflika qui prend lepouvoir (ou que le pouvoir prend en service).

C’est lui qui avait joué du coude pour lire la célèbre oraison funèbre sur la tombe de Boumediene. Il sera frappé par l’hommage unanime et marqué par le désir d’assister à un enterrement aussi glorieux : le sien, en tant que « Père de la nation ». Dès sa première campagne électorale, fin des années 1990, il jouera sur la résurrection du « Boumediénisme ». Pas celui de son économie dirigiste, de ses révolutions démodées (révolution culturelle, agraire, industrielle), mais sur son iconographie, gestuelles, « colères » étudiées, jeux de moustaches et de harangue des foules : une sorte de Boumediene repentit des enthousiasmes socialistes (nous nous sommes trompés, répètera Bouteflika), revenu des utopies du tiers-mondiste et du non-alignement.

Bouteflika savait que le monde rural algérien, au-delà des élites urbaines sous serre, rêvait du retour d’un homme de poigne après une décennie de guerre (les années 1990) et que la nostalgie est un puissant facteur d’élection en temps d’angoisse. L’Algérie venait de sortir d’une guerre civile et se souvenait avec amertume de son âge d’or des années 1970. Du coup, Bouteflika fera du « Boumediene » pendant longtemps. Et jusqu’à dans ses façons de tomber malade et de disparaitre des écrans. « Je ne serais pas les trois quart d’un président » dira-t-il (référence au statut des présidents algériens face à l’armée). Sauf qu’il sera au trois quart absent pour des raisons médicales.

Avril 2013, Bouteflika est encore France. Pour soins à l’hôpital Val de Grâce. Les hospitalisations (Quatre en trois mandats) sont plus nombreuses que les visites d’Etats en l’Algérie et l’Hexagone. En trois mandats, le président fera quatre séjours et toujours avec le même scénario : rumeurs, silence du régime, démentit, rumeurs sur son décès puis résurrection spectaculaire. L’homme vit l’étrange destin de celui qui reçoit le plus de condoléances durant son vivant qu’après son trépas. Il passera la moitié de ses mandats à démentir sa mort mais à confirmersa maladie. Le cocktail plonge le pays dans le sport politique favori de l’Algérie : la transition sans fin. A chaque épisode au Val de Grâce, on retombe dans la question « est-ce qu’il pourra achever son mandat ? », suivie de « qui sera président après le président ? ». Avec le même bal de noms et prénoms qui servent de pépinière au régime en cas de vacance du pouvoir. Le pays ne connaîtra jamais de coup d’Etat médical, ni de bonne santé politique : un peu entre les deux. Une Tunisie Bourguebienne où le Benalisme n’est pas encore né.

C’est que l’Algérie est un cas singulier : le bug des révoltes. Il y a 9 000 émeutes par an selon la gendarmerie, mais zéro révolution en 50 ans. L’Algérie, c’est un peu le pétrole de la Libye, les « services » Moukhabarates de la Syrie, les Trabelsi(familles régnantsur la rente et l’économie) de la Tunisie et l’armée égyptienne (avec sa légitimité de gardienne des frontières et un Sinaï mémoriel avec la France). Sauf qu’il y manque le pivot : le dictateur. Il n’existe pas. Le président est un homme malade, ou un homme qui est vu comme victime du système (vaste incarnation impersonnel). On ne lui reproche pas la dureté mais la mollesse. Pas la poigne mais la non-gouvernance. Bouteflika, malade ou pas, importe peu au système qui fonctionne sans lui mais avec son portrait. Le président en Algérie, est l’expression d’un deal, pas d’un pouvoir, croit-on. C’est pourquoi sa figure est sécurisante pour la majorité.

Vrai ? Un peu. Avril 2013, Bouteflika retombe malade et le pays retombe dans le téléphone arabe. Vivant ? Mort ? On ne sait pas. Les officiels auront beau répéter qu’il se rétablit, le pays se divise déjà en trois : ceux qui surveillent les travaux d’embellissement au cimetière d’El Alia (cimetières des célébrités politiques àAlger), ceux qui surveillent l’aéroport (Bouteflika est l’homme qui aime les retours en avions) et ceux qui surveillent les candidats potentiels : lièvres d’autrefois, anciens de l’époque de Chadli, candidats malheureux ou chefs de partis ambitieux et vaniteux mais prudents. Les trois surveillant ce qui vient de la France : pays où, depuis Boumediene, la vérité éclate dans les journaux. Les canaux de communication officiels peuvent jurer que la terre est ronde, le peuple ne le croira jamais : le socialisme policier a trop menti pour être de bonne foi, même après sa chute.

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