Algérie: aux frontières, un trafic fructueux d’essence avec les voisins tunisiens

Redaction

KHADARA (Algérie) — « Il n’y a pas de travail ici. Il faut bien vivre », explique Mourad, installé dans le café de Khadara, un village de l’est algérien où ce jeune trafiquant prépare sa prochaine virée en Tunisie voisine pour y revendre des centaines de litres de carburant.

Casquette vissée à l’envers sur la tête, dégaine « cool », Mourad tape de sa main droite celle de son camarade, Amine, 23 ans. « Nous sommes une vingtaine et nous travaillons de nuit », raconte-t-il à la journaliste de l’AFP, entouré d’une dizaine de jeunes du village situé à 8 km de la frontière.

« J’arrive à me faire jusqu’à 100.000 dinars algériens (DA) (environ 1.000 euros) par mois », affirme-t-il. Comme ses camarades.

Dans cette zone frontalière, les trafiquants d’essence, surnommés les « hallaba » (qui « abreuvent ») font de gros bénéfices. Le carburant de ce pays producteur de pétrole, subventionné, coûte presque quatre fois moins cher qu’en Tunisie.

En Algérie, un litre d’essence vaut 23 DA (0,23 EUR) le litre, contre 1,57 dinar tunisien (76 DA, 0,76 EUR).

L’automobiliste tunisien lui, paie cette essence algérienne -et même libyenne- offerte dans des jerricanes alignés au bord des routes 1,2 dinar le litre, une économie substantielle.

Le principe du trafic est simple. Les véhicules attendent aux station-essence que les camions-citernes passent. Dans la région, il y a des queues partout.

Une fois le plein fait et les jerricanes remplis, la marchandise est acheminée vers un point de stockage, une ferme ou un hameau isolé, explique à l’AFP un habitant de la région. « Tout se sait ici », dit-il, faisant un clin d’oeil.

De l’argent plutôt facile

A partir de « 200 litres, on achemine à bord de 4X4, puis à dos d’âne. Toutes les nuits. Les Tunisiens récupèrent et paient cash », raconte Mourad. Et « quand on se fait choper par les douanes, la marchandise est saisie mais on ne finit pas en taule »

« Les jeunes n’ont que le choix entre l’armée et le trafic ici », se justifie Amine.

Ces jeunes font partie des 21% de jeunes Algériens de moins de 35 ans (près de 70% de la population) au chômage.

Mourad et Amine ne touchent pas aux armes ou à la drogue. « Trop dangereux », disent-ils.

La semaine dernière, cinq personnes, dont deux Tunisiens, ont été arrêtés à 2 km de là. Ils avaient introduit en Algérie 30 kalachnikovs et des jumelles à infrarouge provenant de Libye, via la Tunisie. Les armes automatiques devaient être vendues 600.000 DA (600 euros) pièce.

Mais vendre en Tunisie du lait, du sucre, de l’huile ou de la farine -subventionnés en Algérie et bien moins chers que dans les pays voisins- « ne rapporte pas », pour Amine, même si ce trafic marche bien.

« On se fait aussi des tunes avec les motos », dit-il, sans dire si ce sont des deux roues volées.

Au poste frontière algéro-tunisien de Haddada, à quelque 650 km à l’est d’Alger, le trafic routier est plutôt calme. « Il n’y a pas de saisies importantes ici », explique un douanier qui refuse de parler « sécuritaire ».

Pourtant, les 1.000 km de frontière tuniso-algérienne sont une « passoire », disent les autochtones. A preuve, 2.336 affaires de contrebande ont été recensées côté algéro-tunisien entre janvier et novembre 2012 par les douanes algériennes.

Des trafiquants, souvent dangereux -et auxquels s’ajoutent aussi des jihadistes- regorgent aux frontières de la région.

Depuis le Printemps arabe en Libye d’où sont parties des centaines d’armes de tous types et en Tunisie, Alger a renforcé la coopération avec ses voisins pour mieux contrôler les frontières. Mais tant que ce ne sont que du carburant et des denrées alimentaires, les autorités ont tendance à fermer les yeux.

Lu sur: afp.com