Algérie : El-Mouradia, la chimère de Yasmina Khadra

Redaction

Lu sur Jeune Afrique

Candidat à la présidentielle algérienne d’avril 2014, l’écrivain Yasmina Khadra est parti à la collecte des parrainages nécessaires. Ne manque plus que… son programme.

Il est mondialement connu. Ses livres sont traduits dans une quarantaine de pays. Le 2 novembre, Yasmina Khadra, 58 ans, écrivain algérien d’expression française, a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle d’avril 2014. Il a choisi le Salon international du livre d’Alger (Sila), événement littéraire le plus médiatisé du pays, pour lancer cette petite bombe. C’est en effet la première fois en Algérie qu’un intellectuel de cette envergure brigue la magistrature suprême.

De son vrai nom Mohamed Moulessehoul, Yasmina Khadra (il a pris pour pseudonyme les deux prénoms de son épouse) est un enfant de Kenadsa, dans la région de Béchar, aux portes de l’erg occidental du désert saharien. Fils d’un officier de l’Armée de libération nationale, il est admis, au lendemain de l’indépendance, à l’École des Cadets de la révolution. Bachelier, il passe par l’École militaire interarmes de Cherchell (le Saint-Cyr algérien) pour y suivre une formation d’officier.

Un succès immédiat

Sa carrière militaire est marquée, durant les années 1990, par la lutte antiterroriste, à laquelle il prend part à la tête d’une unité combattante dans l’Oranie, tout en écrivant des livres et des articles de presse sous des noms d’emprunt. En 2000, il quitte l’uniforme pour la plume. Son talent fait le reste. Sa trilogie de polars où son héros, le commissaire Llob, dénonce les dérives du pouvoir et les travers de la société algérienne lui vaut un succès immédiat. Il est édité en France, et sa notoriété s’étend bientôt au-delà des rives de la Méditerranée.

Depuis, cet auteur prolifique voit ses livres régulièrement adaptés au cinéma, au théâtre ou en bande dessinée. Il a atteint la consécration internationale avec plusieurs prix littéraires. Une notoriété qui lui a également valu le poste de directeur du Centre culturel algérien à Paris, une structure dépendant de l’ambassade d’Algérie en France. À la demande de Bouteflika himself…

Un programme flou

En se lançant dans une élection présidentielle aux contours incertains, où une quatrième candidature de « Boutef » fait l’objet de rumeurs persistantes, Yasmina Khadra affirme ne pas vouloir faire de la figuration. Mais le flou total de son programme politique, qu’il promet de dévoiler s’il ressent une adhésion populaire autour de sa personne, suscite des réactions mitigées. Candidature fantaisiste, comme l’Algérie en a connu à chaque présidentielle ? Ou, au contraire, chance de voir le niveau du débat électoral rehaussé ? Pour l’heure, l’écrivain assure qu’il collecte les parrainages nécessaires : 60 000 signatures de citoyens originaires d’au moins 25 des 48 wilayas ou de 600 élus nationaux ou locaux doivent en effet figurer dans le dossier à soumettre au Conseil constitutionnel avant février 2014.

Dans un pays où les hommes de lettres ont toujours été marginalisés par le pouvoir, Khadra compromet-il sa carrière d’écrivain en lui donnant une tournure politique ? Avant lui, en 1990, Mario Vargas Llosa avait tenté sa chance au Pérou. Il avait perdu, malgré toute une vie consacrée à l’engagement public. Au Nigeria, le Nobel Wole Soyinka avait envisagé, fin 2010, d’en faire de même, avant d’y renoncer. Il y a certes eu, en 1989, le cas Vaclav Havel, en République tchèque, mais sa victoire était intervenue à l’issue d’une révolution de velours et d’une longue carrière d’intellectuel opposant. Yasmina Khadra estime sans doute que l’Algérie a besoin d’un président-philosophe.