Revue de presse. Algérie : nouveaux riches, la caste dangereuse

Redaction

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Ils puent l’argent mal acquis et font flamber les prix. Qui sont-ils et d’où vient leur richesse si subite ? Zoom sur la néo-bourgeoisie parasite et sans culture…

Les commentaires officiels n’osent pas les indexer, tant leur caste dénote sur le tableau social algérien encore bien inscrit parmi les populations des pays du Sud, entendre «pays en développement » pour ne plus utiliser la vilaine expression démodée de «Tiers-Monde». Certes, l’Algérie a accompli d’énormes progrès en matière d’infrastructures, d’éducation de masse, de santé depuis son indépendance mais sa population reste majoritairement pauvre avec un pouvoir d’achat très limité face à une inflation toujours plus importante pour contrarier la revalorisation des salaires et des pensions.

Cependant, une nouvelle classe sociale est née, quasi clandestinement, dans le sillage des grands et des nombreux projets des derniers plans quinquennaux. On les appelle «les nouveaux riches» et il est facile de le repérer puisqu’ils font manifestement tout pour exhiber leur promotion sociale, rapide, fulgurante au moment où d’autres pans de la société s’enfoncent dans la misère.

D’aucuns prétendent même que ces riches de la dernière pluie sont quelque peu responsables du déréglement de l’économie voire de l’appauvrissement des autres… Chaque douar, chaque village peut dresser sa liste des miraculés de la dernière décennie.

Des misérables ou modestes gens soudainement tombés dans l’oppulence grâce à deux ou trois marchés publics obtenus plus ou moins honnêtement, grâce à la vente d’un bien foncier dans un contexte de folle spéculation ou grâce à un poste clé dans l’administration sur fond de corruption généralisée… Il y a d’abord ces signes extérieurs de richesse aguicheurs, tels l’acquisition de voitures de luxe ou grosses cylindrées, la villa cossue champignon qui écrase du jour au lendemain le pâté de maisons voisin par sa taille et ses matériaux tape-à-l’oeil, les vêtements fashion des gamins, l’or massif aux poignets, bras et chevilles des femmes et jeunes filles de la famille ostentoirement exposés lors des fêtes…

Et puis, il y a ces nouvelles moeurs de voyages vers des directions lointaines, de sorties au restaurant répétées, de paniers remplis que de produits alimentaires importés ou les plus chers. Les familles nouvellement friquées ne se privent de rien et étanchent leur frustration en aiguisant celles des autres. Les enfants gâtées, les épouses chanceuses, les pères arrivistes, tous racontent sans rougir leur goût du luxe à leurs semblables d’hier qu’ils font baver d’envie sans le moindre scrupule. Les témoins ou spectateurs de cette incroyable ascension sociale admirent la réussite de la néo-bourgeoisie en espérant leur tour, puisqu’aucun mérite particulier ne justifie la fantastique destinée.

On ne sait pas exactement combien ils sont. Les nouveaux riches se montrent, friment, crânent et roulent leur mécanique sans toutefois craindre les foudres du fisc, l’une des institutions chargées de contrôler l’origine des fortunes et acquittement de l’impôt et des taxes dus à l’Etat. Beaucoup parmi eux sont cependant susceptibles d’un redressement fiscal tant la fraude est répandue en matière de déclarations du chiffre d’affaires et des bénéfices.

Certains pensent pouvoir acheter le silence de l’administration, d’autres paieront quand ils seront contraints de le faire et profitent de leurs porte-monnaie bien pleins pour vivre un quotidien inespéré, il y a quelques mois en arrière. La palme de la richesse subite reviendrait aux entrepreneurs du bâtiment s’attribuant des marges bénéficiaires audessus de l’entendement par le subterfuge de la malfaçon possible quand les services techniques des collectivités locales sont dépassés ou corrompus. «On triche comme on peut», avoue cet artisan sans scrupule.

Tout le monde triche : les politiciens, les élus, les chefs de service, les techniciens, les simples citoyens, pourquoi pas nous ? Si vous ne trichez pas avec eux, nous n’obtenez pas de projet à réaliser.»

Les bijoutiers eux aussi se frottent les mains. Grande marge de manoeuvre sur l’or non poinçonné, l’or introduit illégalement de l’étranger et, plus révoltant encore, sur l’or vendu par les mères de famille qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts !

Enfin, signalons les heureux lauréats des dispositifs sociaux censés créer de l’emploi, tels l’ANSEJ et le crédit CNAC, qui se retrouvent à la tête d’un capital allant jusqu’à 10 millions de dinars (1 milliard de centimes) et versent plus dans l’usure que dans l’activité initialement présentée aux créanciers…

«C’est ainsi que l’Algérie souffre de sa nouvelle caste de parasites qui participent à la dévalorisation permanente du travail en consommant de façon anarchique et en faisant flamber les prix d’un marché déréglé, artificiellement indexé à l’argent souvent mal acquis.»

C’est la réflexion de Mohammed qui a exercé en tant que médecin du secteur public. Il est à la retraite et déplore que les nouveaux riches aient finalement tout obtenu d’un coup et sans aucun effort. Et de rajouter : «Il leur manque l’essentiel : la culture, l’éducation et la morale. Mais cela ne se vend pas encore, pas même en Algérie, Dieu merci !»

Lu sur Le Jeune Indépendant