Leur fuite a fait scandale en Algérie et a provoqué une pluie de menaces à leur endroit. Deux ans après que sept membres du Ballet national algérien ont profité d’une représentation à Montréal pour demander l’asile politique au Canada, les autorités donnent foi à leurs craintes de persécution et accordent à quatre d’entre eux le statut de réfugié. Mais la troupe n’est pas au bout de ses peines. La demande d’un cinquième danseur, qui a pourtant la même histoire que ses compatriotes, a été rejetée et celui-ci risque maintenant d’être renvoyé dans le pays qu’il redoute.
Choqué par une décision qu’il ne comprend pas et convaincu d’être arrêté et puni s’il retourne en Algérie, le jeune homme s’adresse aux tribunaux dans un ultime espoir de rester au Canada. «C’est très difficile de lui expliquer pourquoi sa demande est refusée alors que celles de ses amis, qui ont exactement les mêmes craintes, le même parcours et les mêmes menaces, sont acceptées», explique son avocat, Me Stéphane Handfield.
Le plus jeune de la troupe
Son client qui, à 25 ans, est le plus jeune de la troupe a profité d’un séjour professionnel au Canada en novembre 2010 pour quitter définitivement l’Algérie avec six autres danseurs. Ils ne se sont pas présentés à l’aéroport le jour du départ, faisant du même coup une croix sur leurs familles et leurs amis. Ils étaient victimes de persécution en raison de la nature de leur travail, ont-ils expliqué.
«Je ne peux pas faire partie de ma société, car je suis artiste. À cause de mon métier, j’ai reçu des menaces des islamistes. Et depuis que j’ai quitté l’Algérie, je suis menacé par l’État algérien», a écrit l’athlète refusé dans la demande d’asile qu’il a remplie à l’époque.
La cavale a provoqué la colère du gouvernement algérien. Une ancienne directrice du Ballet et cadre au ministère de la Culture a déclaré en 2010 au journal Al Chourouk que les déserteurs «seraient punis et renvoyés ou traduits devant la justice». «C’est eux, les perdants. Qu’ils assument les conséquences de leur émerveillement pour le Canada», a-t-elle ajouté.
Le quotidien El Watan a rapporté les propos d’un responsable de l’ambassade de l’Algérie au Canada, qui avait promis «de les ramener avec des menottes dans le pur style des groupes islamistes armés». Il avait, selon le journal, menacé les familles des fuyards.
Menaces et craintes
C’est d’ailleurs les menaces des autorités algériennes – bien plus que celles des islamistes – qui ont convaincu quatre commissaires à l’immigration d’accorder le statut de réfugié à autant de danseurs. «Les demandes d’asile de certains des membres du Ballet ont fait la manchette en Algérie. [Le demandeur croit] que du simple fait qu’il a demandé l’asile, il pourrait être puni, mis en prison et oublié», écrit un commissaire dans sa décision.
Pourtant, une cinquième commissaire exposée à la même preuve a jugé que le plus jeune demandeur ne courrait pas de risque en étant renvoyé chez lui. Il a trop tardé à parler de sa crainte du gouvernement lors de son audience, en août dernier, lit-on dans la décision, paradoxalement tombée en même temps qu’une autre, positive celle-là.
Comme le sort du jeune homme est maintenant entre les mains de la Cour fédérale, à qui il s’adresse en dernier recours, il a préféré ne pas nous accorder d’entrevue. Un de ses camarades, dont nous ne pouvons révéler l’identité à cause de son statut de réfugié, a accepté de parler pour lui. «Il est désespéré et il a peur. Dès qu’il va rentrer, ils vont l’amener en prison, dit l’homme dans la jeune trentaine. Ça paraît très bizarre que la décision soit différente de la nôtre.»
Quant à lui, il remercie le ciel d’avoir reçu un verdict favorable. «J’étais tellement nerveux, raconte-t-il. Quand j’ai su que je pouvais rester, c’est comme si j’étais né.»
Un sixième danseur est toujours en attente d’une décision. La dernière membre du groupe n’a toujours pas été entendue.
L’ambassade de l’Algérie au Canada n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.