Le contrat de gestion du portefeuille de titres Sonatrach confié au fonds américain Russel Investment a été conclu dans l’opacité par Chakib Khelil.
« On ne transforme pas des actifs industriels (actions de Sonatrach dans les compagnies américaines Anadarko et Duke, qui détiennent des gisements de pétrole et de gaz aux états-Unis et ailleurs : NDLR) en actifs financiers, c’est une erreur stratégique » confie un spécialiste algérien. En vendant les actions d’Anadarko et de Duke Energy, Sonatrach a affaibli sa position sur la scène internationale et a perdu la possibilité de peser sur les décisions de ces sociétés, en entrant dans leur conseil d’administration :
C’est une faute grave. Au lieu de monter dans le capital d’Anadarko, une compagnie qui prenait d’année en année plus de valeur avec ses actifs, notamment en Algérie (gisements de Hassi-Berkine : NDLR) et dans le golfe du Mexique, Sonatrach a décidé de vendre les actions d’Anadarko et de Duke Energy à partir de 2003.
En clair, Sonatrach détenait à cette époque 12 millions d’actions d’Anadarko et 16 millions d’actions de Duke Energy, résultat d’un dédommagement reçu de la compagnie américaine Panhandle dans les années 1980, suite à un arbitrage international en faveur de Sonatrach relatif à un contrat take or pay de vente de gaz algérien aux Etats-Unis. Ces actions représentaient en 2003 une valeur de plus d’un milliard de dollars. En mars 2003, le conseil d’administration de Sonatrach décide de vendre les actions détenus dans les deux compagnies et de constituer à partir du fruit de cession un portefeuille de titres diversifié. A noter que Chakib Khelil était, outre le premier responsable du secteur, P-DG de Sonatrach depuis 2001. Il a donc influé dans la décision de vente.
En 2003, alors que Chakib Khelil était toujours PDG de Sonatrach, la compagnie pétrolière nationale confie au fonds d’investissement Russel Investment la gestion du portefeuille de titres diversifié (investissements dans des fonds, obligations internationales et bons du Trésor américain). Le contrat est conclu dans l’opacité la plus totale. C’est le brouillard le plus total concernant la rémunération du spécialiste américain de gestion des fonds d’investissement.
Les investigations sur la régularité de ce contrat mènent à la piste Farid Bedjaoui, l’intermédiaire mis en cause dans l’affaire Sonatrach II pour son rôle présumé dans les 200 millions d’euros de pots-de-vin versés par Saipem à des responsables algériens pour décrocher les 8 milliards de dollars de contrats sur le marché pétrolier algérien. Selon ces résultats rendus publics, Farid Bedjaoui, une connaissance de Chakib Khelil, neveu de Mohamed Bedjaoui, l’ex-ministre des Affaires étrangères algérien, a créé en 2002 Rayan Asset Management (basé à Dubaï et curieusement représentant exclusif de Russel Investment pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord). Rayan Asset Management aurait joué un rôle-clé dans ces transactions. Des présomptions de corruption et/ou de passation irrégulière de contrat pèsent sur ce contrat.
« On a financé ces actifs, vendu les actions d’Anadarko à partir de 2005 au moment où cette compagnie prenait beaucoup plus de valeur avec les actifs constitués des gisements de Berkine, au Sud-Est algérien, et au golfe du Mexique » souligne le spécialiste.
Sonatrach détenait en 2003 près de 5% des actions d’Anadarko, elle pouvait monter dans son capital et entrer dans le conseil d’administration, ce qui aurait renforcé le pouvoir de négociations de Sonatrach au moment où Anadarko réclamait et obtenait des milliards de dollars de dédommagements au titre du contentieux lié à l’effet rétroactif de l’amendement de 2006 relatif à la taxe sur le profit exceptionnel, une pilule empoisonnée léguée à l’Algérie par Chakib Khelil. Fort de ces 5% et de peur que Sonatrach ne vende ses actions à un raider qui pourrait lancer une OPA hostile sur Anadarko, Sonatrach aurait pu dissuader la compagnie américaine de ne pas aller en arbitrage international et réclamer des dédommagements.
Dans la balance, des milliards de dollars perdus à l’issue de ce contentieux, des milliards de dollars économisés si Sonatrach était entrée dans le conseil d’administration d’Anadarko et montée dans son capital. En 2010, Chakib Khelil déclarait que l’Algérie avait gagné 600 millions de dollars, résultat de la gestion active de ce portefeuille entre 2003 et 2008. Aujourd’hui, Sonatrach a perdu des milliards de dollars dans le contentieux avec Anadarko, affaibli sa position à l’international. En effet, elle ne détient plus des actions dans ces deux compagnies. En 2002, la capitalisation boursière d’Anadarko était de 11 milliards de dollars, elle est aujourd’hui de 37,7 milliards de dollars, soit 300% de sa valeur à la veille de la cession. L’argent de ce portefeuille constitué de 1,18 milliard de dollars de bons du Trésor américain, 0,2 milliard de dollars des fonds monétaires et obligataires et 0,12 milliard des Hedge Funds a été totalement rapatrié en 2009, suite à la crise financière internationale. En somme, on a assisté à un véritable bradage d’actifs de Sonatrach.