Selon le quotidien britannique The Guardian, les renseignements américains collectent chaque jour la totalité des données téléphoniques d’un des plus gros opérateurs américains. Le président Obama a pourtant toujours critiqué ce genre de pratiques, héritées des années Bush dans le cadre de la lutte antiterroriste.
Après l’affaire du fisc américain accusé de manipulation politique, celle de l’espionnage de journalistes de l’agence AP et de Fox News par Washington, un autre scandale vient entraver le second mandat de Barack Obama. Le quotidien britannique The Guardian révèle un document top secret qui prouve que Verizon, l’un des plus gros opérateurs téléphoniques américains, livre chaque jour les données téléphoniques de millions d’abonnés à l’Agence nationale de sécurité (NSA), qui fait partie du renseignement américain. Et ce, sans aucune distinction, que les abonnés «soient ou non soupçonnés d’un quelconque méfait».
Verizon fournit ainsi les informations sur «tous les appels téléphoniques de son système, passés à l’intérieur des États-Unis et entre les États-Unis et d’autres pays», selon l’ordonnance d’un tribunal fédéral, citée par le Guardian. Ce texte daté du 25 avril – soit un peu plus d’une semaine après les attentats de Boston – autorise le gouvernement à obtenir ces données pendant trois mois.
Des informations sur le numéro de téléphone, la date, la durée et la localisation de l’appel
Un porte-parole d’Obama, Josh Earnest, a justifié jeudi la pratique, indiquant que le président était déterminé à utiliser tous les outils nécessaires contre le terrorisme. De son côté, le ministre de la Justice a annoncé que le Congrès était au courant de ce programme, mais qu’il n’en parlerait pas publiquement. Un haut responsable, sous couvert de l’anonymat, a expliqué que l’ordonnance «ne permet pas au gouvernement d’écouter les conversations téléphoniques de quelqu’un» et ne porte pas sur «le contenu des communications ou le nom des abonnés». Il s’agit de récolter des «métadonnées», comme le numéro de téléphone, la date, la durée et la localisation de l’appel.
Ce genre de pratique n’est pas nouveau: en 2006, la presse américaine avait déjà pointé du doigt les mêmes agissements au sein de l’Administration de George W. Bush, qui justifiait ses actes par la loi «Patriot act», adoptée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Mais comme le souligne The Guardian, «jusqu’à maintenant, il n’y avait pas eu d’informations selon lesquelles le gouvernement Obama aurait mis en place un tel programme». Car l’actuel président a toujours affirmé vouloir se démarquer de la façon controversée dont son prédécesseur gérait la lutte antiterroriste, en revendiquant davantage de transparence. Le site américain The Huffington Post a d’ailleurs déterré une chronique datant de 2008, écrite par Obama à l’époque où il était seulement candidat à la présidentielle. Il appelait alors à une «revue totale des programmes de surveillance» «pour préserver les libertés civiles» et éviter les «abus futurs».
Ce nouveau scandale, ajouté à celui de l’espionnage de journalistes, remet en question l’attitude du président vis-à-vis des données privées. Déjà, les réactions se multiplient dans la presse et sur les réseaux sociaux, comme celle, outrée, de l’ancien vice-président Al Gore.
«Cela va au-delà d’Orwell», a dénoncé Jameel Jaffer, de la grande ONG American Civil Liberties Union (ACLU), en référence au livre d’anticipation, 1984. «C’est une nouvelle preuve de la façon avec laquelle les droits démocratiques de base sont remisés au second plan, en secret, au profit des agences de renseignement qui n’ont de comptes à rendre à personne», a-t-il indiqué dans un communiqué.
L’an dernier déjà, deux sénateurs membres de la commission du Renseignement, Ron Wyden et Mark Udall, avaient écrit à Eric Holder, pour réclamer cette transparence: «Il y a désormais un décalage important entre ce que les Américains pensent que la loi autorise et ce que le gouvernement estime secrètement que cette même loi autorise», écrivaient-ils alors. Le signe que les agissements de l’équipe Obama ne datent sans doute pas de cette année.