A l’est du Bronx, dans sa partie orientale, chaque vendredi, pour le service religieux du Shabbat, il règne une ferveur particulière au coin de l’avenue de Westchester qui ne surprend plus personne, même si elle est en tout point exceptionnelle : les membres du Chabad, une synagogue ultra-orthodoxe, viennent se recueillir… dans la mosquée Al-Imam.
Défiant les lois de la géopolitique qui en font des ennemis irréductibles et au-delà de tous les discours, ce rapprochement unique entre musulmans et juifs, sur lequel rares sont ceux qui auraient parié à Manhattan, a été favorisé par l’élan spontané de solidarité de Cheikh Moussa Drammeh, fondateur de la mosquée Al-Iman, envers la Congrégation Young Israël exsangue et à la rue.
Une entraide qui a cimenté, depuis 2007, des relations précieuses faites de respect et de confiance mutuels, forçant l’admiration de celle qui en fut la cheville ouvrière : la catholique Patricia Tomasulo, très impliquée dans la gestion communautaire du quartier, qui a mis en rapport les deux communautés de foi. « Nulle part ailleurs dans le monde les juifs et les musulmans communient sous un même toit », a-t-elle déclaré à la presse locale, s’enthousiasmant : « C’est tellement unique !« .
Saisissante et émouvante, l’image à forte charge symbolique en a laissé pantois plus d’un, sidérés que des juifs orthodoxes aient été accueillis à bras ouvert par le Centre culturel islamique d’Amérique du Nord qui abrite la mosquée Al-Iman.
« Les gens se font de fausses idées sur la haine des musulmans à l’égard des juifs, mais voici un formidable exemple qui tord le cou aux idées reçues« , insiste le septuagénaire Léon Bleckman, l’ancien trésorier de la Congrégation Young Israël, qui avait eu l’occasion, par le passé, de collaborer étroitement avec le Cheikh Moussa Drammeh et d’en apprécier la fiabilité et l’intégrité.
En effet, la communauté juive était alors propriétaire d’une synagogue sur Virginia Avenue et collectait des vêtements pour les familles nécessiteuses dont une partie revenait au Cheikh Moussa Drammeh et à sa propre communauté musulmane. C’est ainsi qu’une longue amitié est née et ne s’est jamais démentie.
En 2003, confrontés à une baisse démographique sensible au sein de leur communauté, les responsables de la congrégation Young Israël ont dû se résoudre, la mort dans l’âme, à vendre leur lieu de culte. Selon le « Jewish Community Relation Chair », le nombre de 630 000 juifs recensés dans le Bronx a connu une lente érosion, jusqu’à chuter à 45 100 en 2002. La synagogue ayant été vendue, un local a été loué jusqu’en 2007, mais les faibles ressources de leur communauté, en déclin et vieillissante, ont contraint les responsables à rendre les clés.
Informé de cette situation en 2006 par Patricia Tomasulo, le Cheikh Moussa Drammeh a immédiatement ouvert grand les portes de sa mosquée à la communauté juive en détresse, considérant qu’il était de son devoir de trouver un toit à des frères en Dieu, dont la générosité, autrefois, envers les plus miséreux de sa communauté, l’avait profondément touché.
L’imam mit à disposition gracieusement une salle spacieuse que la communauté juive a eu tout loisir d’aménager à son goût, et depuis 2007, cette improbable cohabitation non seulement perdure mais se passe également sous les meilleurs auspices. « Nous ne sommes pas aussi divisés que les médias le disent« , a commenté, pour sa part, le Cheikh Moussa Drammeh, en faisant remarquer que « Près de 90% des grands préceptes juifs, musulmans et chrétiens sont les mêmes. »
De son côté, Léon Bleckman, le vieux compagnon de route du Cheikh Moussa Drammeh, se félicite chaque jour que Dieu fait de cette formidable coexistence, riche d’enseignements, qui fait mentir tous les oiseaux de mauvais augure. Si sa communauté aspire légitimement à construire un jour une nouvelle synagogue, tous ont et auront à cœur de consolider la relation positive avec leurs amis musulmans, mais aussi de témoigner de sa belle réalité.