Depuis les camps du Nord-Mali jusqu’à la base de Tinguentourine, voici l’incroyable récit d’une opération menée de longue date par les hommes de Belmokhtar. Ou comment les assaillants ont réussi à déjouer tous les dispositifs de sécurité. El Watan Week-end a pu se procurer des extraits du rapport d’enquête demandée par la Présidence.
1 – Octobre Au nord du Mali : Mokhtar Belmokhtar, Abderrahmane El Nigiri et Lamine Bencheneb, sûrs que la France va intervenir au Mali, commencent à plannifier leur opération. Ils obtiennent des informations détaillées sur la sécurité de la base auprès d’un des diplomates kidnappés à Gao en avril 2012 et qui a travaillé pendant deux ans sur le site. Tinguentourine n’est qu’à 80 km de la frontière libyenne : elle leur permettra un repli rapide en Libye. Enfin, parmi les membres du Mujao se trouvent d’anciens employés du site. Lamine Bencheneb, qui entretenait de bonnes relations avec les services de sécurité de la région – il se déplaçait beaucoup entre Ouargla et Illizi – à qui il fournissait des renseignements, était intervenu pour que certains de ces employés soient recrutés.
2 – à partir du 9janvier : trois groupes prennent la route. Une soixantaine d’hommes du Mujao et de Belmokhtar quittent leur campement d’Aguelhok avec une quinzaine de véhicules. Destination : Oudian Er Rouan, dans le sud-ouest de la Libye où les attend le groupe de Youssef Bencheneb et Abdesselam Tarmoun, un groupe d’appui. Pendant leur traversée, qui aura duré une semaine, ils n’ont utilisé aucun moyen de communication à part des GPS. Leur priorité : échapper au contrôle des avions qui survolent chaque jour les frontières avec le Mali, le Niger et la Libye, aux patrouilles terrestres qui ratissent les axes clandestins empruntés par les contrebandiers et les terroristes, et aux services de renseignements dont les écoutes radio couvrent Tamanrasset, Ouargla et Illizi. Mais ils savent comment déjouer les dispositifs de sécurité. Ils se scindent d’abord en plusieurs groupes de 4 ou 5 voitures, eux-mêmes divisés en groupes de 2 ou 3 voitures.
Surtout, ils ne se déplacent que la nuit, car la poussière soulevée par les véhicules en train de rouler pourrait les rendre visibles à une cinquantaine de kilomètres. Pour qu’ils ne soient pas non plus repérés aux traces des roues dans le sable, ils brouillent les pistes en traçant régulièrement des brides (cercles) d’une cinquantaine de kilomètres. Dès que le jour se lève, ils cachent les véhicules. Une des techniques consiste à les couvrir de graisse pour que le sable dont ils les recouvrent résiste au vent. Enfin, ils choisissent des zones de passage soit secrets, soit très difficiles d’accès (Tassaght, Ighir au Mali, Tin Ismi, Ismi Iziouz au Niger). En essayant de passer du côté de Ouere In Taddourt, en Libye, ils perdent deux hommes dans un accident de voiture. Les enquêteurs algériens ont pu retrouver les tombes et récupérer les corps. Quant aux véhicules, ils ont été changés au sud-ouest de la Libye contre des modèles semblables à ceux du service de sécurité de Sonatrach.
3 – 14 janvier. Au sud de Djanet : trois hommes armés tentent de passer la frontière à 600 km de Djanet. Ils sont abattus par l’armée.
4 – 16 janvier. A 70 km de Tinguentourine : sous le commandement de Abderrahmane El Nigiri, le groupe de 40 terroristes (dont 4 Algériens) passe la frontière. L’unité de gendarmerie qui se trouve à proximité de la base n’a pas contrôlé le vendeur de cigarettes qui est resté posé pendant dix jours près de la station Naftal. Les assaillants choisissent d’attaquer le jour où le bus transportant le personnel de BP arrive de l’aéroport de Hassi Messaoud. A la mi-janvier, les rares touristes venus pour les fêtes de fin d’année sont repartis, les forces de sécurité se relâchent un peu. Les premières heures de l’attaque, pour les Algériens, sont les plus difficiles : ils ignorent combien d’hommes ont pris la base d’assaut et la nature de leurs armes. Aux expressions religieuses qu’ils emploient, ils pensent d’abord avoir affaire à Al Qaîda. Malgré le matériel de communication très sophistiqué dont ils disposent, donné par les rebelles libyens, les Algériens parviennent à intercepter les appels passés au commandement de l’opération. Les preneurs d’otages se disent «encerclés par l’armée» et demandent «comment se comporter avec les otages».
La négociation
Par principe, il n’est pas question que les forces de sécurité négocient avec les terroristes. Mais les militaires, qui ont besoin d’en savoir plus sur les forces en présence, entrent en contact avec eux. Le négociateur : un colonel du DRS, qui a travaillé plusieurs années au Mali, connaît bien la personnalité de Belmokhtar et a participé aux négociations pour libérer Robert Fowler, envoyé spécial des Nations unies au Niger. Il est aidé par un groupe de militaires et d’officiers du DRS spécialisés dans la lutte antiterroriste au Sahel venus d’Alger, de Tamanrasset, de Ouargla et de Béchar. Les négociations avaient un autre but : occuper les terroristes pendant que les Algériens préparaient l’assaut.
Environ 6 000 hommes sont envoyés sur les lieux dont ceux du Groupement d’intervention spéciale qui avaient en mars 2012 participé à un exercice… de libération d’otages dans une base pétrolière. Habitués à se déplacer en suivant les gazoducs pour empêcher toute frappe aérienne, les terroristes savent que les Algériens ne peuvent pas choisir de bombarder le site. Le premier assaut est donné d’un hélicoptère Mi24 à bord duquel se trouve un tireur d’élite qui touche et blesse El Nigiri. Lorsque les terroristes tentent de fuir avec les otages à bord de leurs 4×4, ce sont des Mi28 équipés de mitrailleuses qui sont déployés. L’explosion des véhicules n’a pas été causée par des missiles mais par les explosifs que les hommes de Belmokhtar avaient placés sur les otages.
Al Qaïda s’adresse aux Algériens
L’organisation terroriste Al Qaîda a publié hier sur twitter un document appelant les Algériens à boycotter l’armée algérienne et à dénoncer la traque des terroristes. Saluant «la fin de règne» du président Bouteflika, Al Qaîda a publié un long message signé par le cheikh Abu Abdullilah Ahmed Al Jijeli. Le document dénonce les événements récents de Skikda, où deux terroristes ont été tués par l’armée algérienne il y a une dizaine de jours. Le cheikh dénonce aussi l’action de l’armée, qu’il qualifie de «troupes de la mort» et accuse les médias de «se cacher derrière une armée prétendûment victorieuse» pour éviter de couvrir ces événements.
Le cheikh diagnostique un «échec du gouvernement algérien dans la compréhension de ses plus jeunes générations». Sur la base de cette «situation dangereuse», il appelle les Algériens à «boycotter l’armée de la mort», à manifester contre son action et à médiatiser les heurts entre les terroristes et l’armée. La conclusion du texte joue sur une corde sensible pour recruter les Algériens : le cheikh annonce «la bonne nouvelle à ses frères de l’Umma musulmane» : depuis le départ de Bouteflika, «le règne de la domination française – directe et indirecte – est terminé. Le futur du pays réside dans l’islam».
Lu sur El Watan