« En bus vers l’apartheid israélien. » Cette invitation « au voyage » pour le moins caustique, lancée par le professeur de droit israélien Aeyal Gross dans une tribune du quotidien Haaretz, se fait l’écho d’un nouveau scandale en Israël. Lundi 4 mars a été lancé un service de bus réservé aux travailleurs palestiniens de Cisjordanie vers les villes israéliennes. Ces deux lignes, opérées par la compagnie de transports Afikim, relient le passage d’Eyal, près de Qalqiliya, en Cisjordanie, à Tel-Aviv et aux villes de la région de Sharon à « bas prix ».
« Les nouvelles lignes ne sont pas des lignes séparées pour les Palestiniens mais plutôt deux lignes dédiées destinées à améliorer les services offerts aux travailleurs palestiniens qui entrent en Israël par le passage d’Eyal », s’est défendu le ministère des transports israélien. D’ailleurs, a constaté samedi le quotidien israélien Yediot Aharonot, leur lancement a fait l’objet d’une promotion uniquement par le biais de publicités en arabe distribuées dans les villages palestiniens de Cisjordanie.
« ASSURER UN MEILLEUR SERVICE »
En novembre, le quotidien Haaretz indiquait que le ministère des transports cherchait à développer un tel projet à la suite de pressions exercées par l’ancien maire de la colonie d’Ariel, Ron Nahman, et par le président du conseil local de Karnei Shomron, en Cisjordanie. Des colons se sont plaints par le passé de devoirpartager les transports avec les Palestiniens, brandissant les risques sécuritaires d’une telle cohabitation. Après avoir cherché en vain une alternative, a assuré le ministère des transports, décision a été prise de mettre en place ces nouvelles lignes de bus.
Conscientes de la controverse que susciterait cette décision, les autorités israéliennes ont avancé plusieurs justifications. « Les nouvelles lignes vont limiterle surpeuplement dans les bus qui résulte de l’augmentation du nombre de permis de travail accordés aux Palestiniens, autorisés à travailler en Israël et vontpermettre d’améliorer la qualité des services, pour le bien des Israéliens comme des Palestiniens », a ainsi déclaré le ministère des transports. Un argument validé par Herzl Ben-Zvi, le maire de la colonie de Karnei Shomron.
Autre raison avancée par le ministère des transports : « les nouvelles lignes de bus sont destinées aux travailleurs palestiniens entrant en Israël par le passage d’Eyal, afin de remplacer les opérateurs pirates qui transportent les travailleurs à des prix exorbitants. » Un argument auquel a cette fois souscrit la compagnie de transports Afikim.
« LES LIGNES DE L’APARTHEID »
Les arguments des autorités israéliennes ont peu convaincu les détracteurs du projet. Le parti de gauche israélien, Meretz, a appelé le ministre des transports, Israël Katz, à annuler cette décision. Dans une lettre, sa chef, la députée Zehava Gal-On, a demandé que « les bus ségrégés cessent immédiatement d’opérer », rapporte le quotidien en hébreu Maariv. « Les autobus ségrégés qui opèrent sur une base ethnique étaient chose commune dans les régimes racistes. C’est inacceptable que cela existe dans un pays démocratique », a-t-elle estimé.
« C’est tout simplement du racisme. Un tel projet ne peut être justifié sur la base de besoins sécuritaires ou de surpeuplement », a pour sa part dénoncé Jessica Montell, la directrice de l’organisation de défense des droits de l’homme B’Tselem, à l’antenne de Galei Tsahal, la radio de l’armée israélienne.
« Les lignes de bus séparées pour les Palestiniens qui ont été lancées lundi rappellent la ségrégation raciale instaurée aux Etats-Unis en 1896 et rapprochent Israël de l’apartheid », accuse encore dans sa tribune le professeur Gross. Il fait ici référence à l’arrêt Plessy v. Ferguson par lequel la Cour suprême américaine a entériné en 1896 le principe « séparé mais égal », en rejetant l’argument selon lequel la ségrégation entre Noirs et Blancs dans les trains violait le principe d’égalité. Un principe resté en application jusqu’à ce qu’une certaine Rosa Parks refuse un 1erdécembre 1955 de s’asseoir dans la section réservée aux gens de couleur d’un autobus de Montgomery, en Alabama.
En Israël, des précédents existent. Les Palestiniens de Cisjordanie, qui doivent posséder un permis spécial pour entrer en Israël, dénoncent régulièrement un système d' »apartheid » dans lequel certaines routes et certains moyens de transports leur sont interdits sur leur propre territoire, officiellement pour des motifs de sécurité. A plusieurs reprises, la Cour suprême israélienne a été saisie de cas dans lesquels interdiction avait été faite à des Palestiniens d’emprunter des routes traversant la Cisjordanie, rappelle le juriste Aeyal Gross. « Et bien qu’il existe des différences entre la situation dans les territoires et la définition de l’apartheid,conclut-il, la ségrégation dans les bus est une autre caractéristique d’un régime basé sur la séparation de résidence, de mouvement et de lois différenciées selon l’origine des populations. Cela rapproche Israël de l’apartheid. »
VERS L’INTERDICTION DE VOYAGER SUR LES LIGNES RÉGULIÈRES ?
Force a été de constater lundi qu’un réel besoin existait parmi les travailleurs palestiniens de transports à bas prix vers leur lieu de travail. Les deux lignes ont été prises d’assaut par des dizaines de travailleurs palestiniens, comme le montrent les photos diffusées par le site d’information Ynet. Nombre d’entre eux ont dû attendre avant d’avoir une place, certains ont simplement dû renoncer, comme le raconte le journaliste Chaim Levinson du Haaretz. « C’est très bien, mais il devrait y avoir un bus toutes les 10 minutes, parce que les gens doivent attendrelongtemps », a ainsi déclaré à l’AFP un des nouveaux usagers, Tareq Salameh, au passage d’Eyal.
Au sein des groupes de défense des droits de l’homme, on s’inquiète déjà de la mise en place de mesures supplémentaires. La loi israélienne garantit aux Palestiniens détenteurs d’un permis de travail en Israël le droit d’utiliser l’ensemble des transports publics. Or, lundi, des informations ont été diffusées dans lesmédias israéliens selon lesquelles la police israélienne placée aux points de passage en Cisjordanie pourrait ordonner aux passagers palestiniens dedescendre des autobus fonctionnant sur les lignes régulières, indique le quotidienIsrael Hayom.
Un chauffeur de bus de la compagnie Afikim a ainsi déclaré au site d’information Ynet : « Nous n’avons pas le droit de refuser un service et nous ne dirons à personne de sortir du bus, mais d’après ce que l’on nous a dit, à partir de la semaine prochaine, il y aura des contrôles aux points de passage et il sera demandé aux Palestiniens d’emprunter leurs bus. » Des informations qui ont été démenties par les responsables de la police de Judée et Samarie (Cisjordanie). Toutefois, indique Haaretz, pareils incidents ont déjà eu lieu par le passé.
Face à ces nouvelles accusations, le ministère des transports a assuré lundi que les Palestiniens entrant en Israël pourront voyager sur toutes les lignes d’autobus publiques en Cisjordanie comme en Israël, indique indique Maariv. Israël Katz a donné des instructions afin que « les Palestiniens entrant en Israël puissent circulerà bord de tous les transports publics en Israël, y compris les lignes opérant en Judée-Samarie », indique un communiqué.