La libération des prisonniers palestiniens au coeur des négociations de paix

Redaction

A 62 ans, dont quatorze passés dans les prisons israéliennes, Jaber Wishah ne connaît que trop bien les désillusions des lendemains d’accords de paix entreIsraël et les Palestiniens. Resté derrière les barreaux jusqu’en 1999, en dépit de la signature des accords d’Oslo en 1993, le Gazaoui consacre désormais toute son énergie au seul combat qu’il estime prioritaire. « Il n’y aura pas de paix tant que les prisonniers palestiniens ne seront pas libérés. La libération de la terre et de Jérusalem viennent en second, car seul un homme libre peut libérer la terre », assure le vice-directeur du Centre palestinien des droits de l’homme (PHCR), à Gaza.

A la veille de la rencontre entre le président américain Barack Obama et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, jeudi 21 mars à Ramallah, Jaber Wishah ose encore espérer que les deux responsables prendront toute la mesure de l’urgence à règler ce dossier. Un dossier qui concerne 4 812 prisonniers politiques palestiniens, détenus dans les prisons israéliennes en date de février 2013. Parmi lesquels notamment, précise l’Association palestinienne de soutien aux prisonniers — Addameer, 178 prisonniers en détention administrative, 12 femmes, 219 enfants et 15 membres du conseil législatif palestinien. Un dossier qu’aucune famille palestinienne ne peut ignorer, dès lors que plus de 700 000 Palestiniens ont été au moins une fois détenus, interrogés ou emprisonnés par Israël depuis 1967.

UN DOSSIER EXPLOSIF

Le dossier est considéré comme pouvant conduire à un nouvel embrasement de la rue palestinienne. L’annonce de la mort en détention du prisonnier palestinien Arafat Jaradat, le 24 février, a fait craindre un temps au déclenchement d’une « troisième intifada ». Pendant plusieurs jours, des affrontements ont opposé manifestants palestiniens et militaires israéliens en Cisjordanie, faisant des dizaines de blessés. Pour la première fois depuis novembre, les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, branche armée du Fatah, ont lancé une roquette en Israël en « représailles » de sa mort. A un mois de la visite de Barack Obama, Israël a tout fait pour contenir les troubles, intimant son armée à la retenue.

L’affaire Arafat Jaradat

Arafat Jaradat, 30 ans, a été arrêté le 18 février par les autorités israéliennes. Le 24 février, ses parents ont été informés que leur fils est mort la veille dans la prison de Megiddo, dans le sud d’Israël. Le rapport du médecin légiste israélien conclut à un infarctus, version que met en doute le médecin légiste palestinien présent lors de l’autopsie, ainsi que la famille qui dit avoirconstaté des traces de torture sur le corps. Ses parents ont réclamé une commission d’enquête indépendante. Selon Jaber Wishah du PHCR, le jeune homme aurait été torturé au centred’interrogatoire du Shin Bet d’Al-Jalameh, dans le nord d’Israël. Des pratiques qui, estime-t-il, ne sont pas isolées. « Le comité contre la torture, organe des Nations unies, estime que 80% des Palestiniens ont été victimes de torture. 72 sont morts sous la torture depuis 1967 », commente le militant des droits de l’homme.

Côté palestinien, on n’ignore pas le caractère explosif de ce dossier. La grève de la faim entamée pendant l’été 2012 par quatre prisonniers palestiniens, et poursuivie jusqu’à aujourd’hui par intermittence, a donné lieu à une importante mobilisation populaire. Craignant que la situation ne devienne incontrôlable, le président palestinien a exhorté, le 12 février, la communauté internationale àintervenir d’urgence en faveur de ces détenus, dénonçant la politique de détention administrative et les mauvais traitements perpétrés par Israël.

Quatre grèvistes de la faim

Aymane Charawneh, Samer Issaoui, Jaafar Ezzeddine et Tariq Qaadane ont entamé au cours de l’été 2012 une grève de la faim de longue durée pour protester contre leur détention. Tout comme douze autres prisonniers palestiniens, ayant été libérés en octobre 2011 dans le cadre d’un échange de prisonniers palestiniens contre le soldat israélien Gilad Shalit, ils ont été arrêtés à nouveau dans les mois qui ont suivi et pourraient avoirà purger le reliquat de leur peine initiale, aux termes de la loi 168 édictée il y a quelques mois. Aymane Charawneh, un activiste du mouvement islamiste Hamas de 36 ans, avait ainsi été arrêté en 2002 et condamné à 38 ans de prison avant d’être relâché dans le cadre de cet échange. En janvier 2012, l’homme est à nouveau arrêté pour violation des conditions de sa libération, selon Israël, sans que les preuves de sa culpabilité ne soient rendues publique, même à ses avocats. M. Charawneh est en détention administrative, sans charge ni procès. Il risque vingt-huit années de détention. Cet habitant de Hébron, en Cisjordanie, pourrait bénéficier d’un accord avec les autorités israéliennes, pour être libéré contre un exil de dix ans à Gaza.

UN PRÉALABLE À LA RELANCE DU PROCESSUS DE PAIX

Le dossier a pris, au sein de l’Autorité palestinienne, un caractère prioritaire. La libération des prisonniers est devenue pour Mahmoud Abbas un préalable à une relance des pourparlers de paix avec Israël, au même titre que l’arrêt de la colonisation juive et la reconnaissance des lignes antérieures à la guerre de juin 1967 comme base de discussions, a affirmé le 14 mars le négociateur palestinien Saëb Erekat. « Les instructions du président Mahmoud Abbas, les contacts et les rencontres politiques visent à tout mettre en oeuvre pour libérer 107 détenus arrêtés avant 1994 », avant la signature des accords de paix d’Oslo, a-t-il assuré.

Lire le portrait : Oum Ibrahim, mère d’un prisonnier palestinien pré-Oslo

La priorité des efforts diplomatiques de Mahmoud Abbas sera également d’obtenirla libération de 1 000 détenus, libération qui avait été convenue avec le premier ministre israélien précédent, Ehoud Olmert, ainsi que celle de 15 Palestiniens arrêtés à nouveau, après avoir été relâchés dans le cadre de l’échange d’un millier de prisonniers palestiniens contre le soldat israélien Gilad Shalit, en 2011. Une demande que Barack Obama pourrait être tenté de présenter aux Israéliens au nombre des « mesures de confiance » susceptibles de réamorcer le dialogue avec les Palestiniens.

Les bonnes intentions de Barack Obama sur ce dossier suscitent des doutes. Le groupe indépendant « Palestiniens pour la dignité » a ainsi appelé, le 12 mars, à des manifestations contre la visite du président américain en Cisjordanie, « à un moment où nos prisonnies mènent la bataille de la grève de la faim face à l’obstination du gouvernement israélien et face au silence des Etats-Unis envers le lent assassinat auquel ces héros sont soumis ». Cette semaine, le groupe a de nouveau dénoncé cette visite et récusé « les tentatives de la direction palestinienne d’alléger l’atmosphère avec des déclarations selon lesquelles Obama ferait pression sur le gouvernement israélien sur la question des prisonniers, ou des promesses d’aumône américaine. »

LE « CRIME » D’OSLO

Parmi les défenseurs des droits des prisonniers, le scepticisme est également de mise quant aux intentions de l’Autorité palestinienne. Le refus d’Israël de libérer, jusqu’à aujourd’hui encore 106 prisonniers incarcérés avant 1993 et les accords de paix d’Oslo, leur rappelle le péché originel d’Oslo. « Lors de la visite d’Obama, l’Autorité palestinienne doit rattraper et réparer son erreur historique de laisser ce dossier aux bonnes intentions israéliennes », interpelle ainsi Jaber Wishah, rejettant la faute au négociateur d’alors. « Il a commis, intentionnellement ou par naïveté, un crime en n’étant pas assez exigeant », accuse-t-il.

Abdel Nasser Firwana, directeur des statistiques au ministère des prisonniers palestinien, ne peut qu’acquiescer. « Ils devaient normalement être libérés dans le cadre des accords d’Oslo, reconnaît M. Firwana. Les textes de l’accord n’étaient pas assez clairs concernant leur libération. On a laissé cela aux bonnes intentions d’Israël, en estimant que si des accords étaient passés, ils seraient obligatoirement libérés. Israël a exploité cela »« Les failles ont été rattrapées lors des accords de Charm El-Cheikh en 1999, où il a été écrit que tous les prisonniers incarcérés avant mai 1994 devaient être libérés. Mais, Israël n’a pas respecté cette clause », précise-t-il toutefois.

A en croire le responsable du ministère, l’Autorité palestinienne entend bien ne pasreproduire les mêmes erreurs. Le dossier sera désormais intimement lié aux négociations de paix. « Quel que soit l’accord que passent les Israéliens et les Palestiniens, sous la médiation des Etats-Unis, pour que cet accord soit réussi, il faut trois conditions : qu’il y ait un accord à part sur les prisonniers, détaillé et limité dans le temps. Sinon, ça ne marchera pas », l’interpelle Jaber Wishah.

Mais, le militant n’a plus beaucoup d’illusions sur la capacité à contraindre Israël à libérer les prisonniers dans le cadre de négociations de paix. « Dans le cadre d’échanges de prisonniers, Israël libère même ceux qui ont les mains tâchées de sang, alors que dans le cadre de négociations, elle ne respecte rien. Ca a été le cas en 2006 avec l’échange avec le Hezbollah et en 2011 avec celui de Gilad Shalit. Cela envoie le message à tous les prisonniers pré-Oslo que pour être libérés, il faut prendre en otage des Israéliens. »

Lu sur Le Monde.fr