L’Algérie à bout de souffle

Redaction

La nouvelle hospitalisation du président algérien, Abdelaziz Bouteflika, 76 ans, jette une ombre sur son avenir à la tête du pays. Alors que les appels s’étaient multipliés ces dernières semaines pour qu’il prétende l’année prochaine à un quatrième mandat, cet incident illustre toutes les contradictions d’un système tétanisé par la perspective inévitable de son renouvellement.

La disparition éventuelle du président changerait-elle la structure du pouvoir à Alger?  

A priori non. En Algérie, contrairement aux régimes arabes d’avant les révoltes de 2011, la personne du chef de l’Etat ne se confond pas avec le système qui l’entoure.  Comme eux toutefois, le régime algérien est très opaque. A telle enseigne que l’étendue réelle des pouvoirs de celui à qui on en prête le plus, à savoir le général Mohamed Médiène, dit Toufik, tient presque de la légende urbaine.  Le pouvoir à Alger est décentralisé, fragmenté entre différents clans rivaux. Selon les moments, Bouteflika et son clan sont au mieux un des rouages moteurs, au pire une simple vitrine.  Historiquement, la réalité du pouvoir appartient à l’armée, en particulier aux services de renseignements et de sécurité (le DRS), que dirige Toufik. Les militaires se sont imposés face aux civils depuis la guerre d’indépendance contre la France (1954-62). Du coup d’Etat du colonel Houari Boumédiène en 1965, à l’élection d’Abdelaziz Bouteflika en 1999, les présidents de plein exercice ont d’ailleurs tous été des militaires.  Bouteflika est un civil. C’est un ancien ministre des Affaires Etrangères de Ben Bella et Boumédiène, tombé en disgrâce après la disparition de ce dernier en 1978. A la fin de la « décennie noire » (la guerre civile des années 1990), il a été réhabilité par le système qui avait alors besoin d’une figure politique consensuelle et rassurante.  Aujourd’hui, une large frange des militaires aimeraient voir passer la main le président qui détient désormais le record de longévité au pouvoir. Le clan Bouteflika fait en outre l’objet d’une intense campagne de dénigrement.  Le récent accident vasculaire présidentiel est sans doute à relier à l’état d’énervement provoqué par les mises en cause répétées contre Saïd Bouteflika. Ce frère que le président aurait aimé avoir comme successeur a en effet été relevé de ses fonctions officielles peu avant l’annonce de l’hospitalisation du chef de l’Etat.  Pour Alger, ce n’est donc pas la succession de Boutef’ qui pose problème en soi, c’est le fait qu’elle ouvre la porte à un inévitable changement de génération et à un rééquilibrage entre les clans au pouvoir.

En quoi le changement de génération pose problème?  

Alors que l’immense majorité des Algériens a moins de 30 ans, leurs principaux dirigeants sont des septuagénaires. Comme Bouteflika, ce sont tous des vétérans de la guerre d’indépendance qui continuent de se parer de cette légitimité historique pour justifier leur accaparement du pouvoir.  En premier lieu, ils ne sont plus en phase avec les aspirations d’une société de plus en plus éduquée, qui réclame davantage de droits, de liberté et de justice dans un pays rentier gangréné par la corruption. Ces derniers mois, les scandales se sont succédé, notamment dans le secteur hautement stratégique des hydrocarbures, contribuant à dégrader un climat social déjà très tendu.  Ensuite, les vieux dirigeants hésitent à lâcher les manettes par peur, non seulement de perdre leurs prébendes, mais surtout d’être ultérieurement mis en cause par la justice. Chaque clan au pouvoir est à cet égard réputé détenir des dossiers compromettants sur les autres. Ce qui renforce la logique de statu quo.  Cependant, le temps devrait se charger de résoudre le problème. De nombreux ex-hauts dirigeants, dont d’anciens présidents, sont décédés ces derniers mois. Il se dit que Bouteflika lui-même a très peur et s’est rapproché de la religion. Depuis la révélation de sa maladie en 2005, le président apparaît de plus en plus affaibli.  A l’occasion des 50 ans de l’indépendance algérienne l’année dernière, le chef de l’Etat avait souligné qu’il était temps de passer la main à la jeune génération. Jusque-là, il n’avait rien dit de ses intentions pour la prochaine élection présidentielle de 2014, mais certains de ses soutiens le poussaient à se représenter.  Son passage au Val-de-Grâce parisien pourrait définitivement exclure cette possibilité. Cela dit, comme le souligne la presse algérienne, son absence probable du jeu électoral ne sera pas un gage de renouveau automatique.  Si le régime actuel est en place pratiquement depuis l’indépendance, voire avant d’une certaine manière, c’est parce qu’il est toujours parvenu à donner l’illusion qu’il se renouvelait. Pour 2014, il va pourtant devoir faire plus qu’arborer une façade rafraîchie s’il veut remédier à l’instabilité populaire.

L’Algérie n’est-elle pas une exception face aux « Printemps Arabes »?  

Elle a jusque-là évité l’abîme vers lequel ont plongé d’autres pays. C’est du moins ce que doivent se dire les dirigeants à Alger.  Fin 2010, des manifestations violentes avaient aussi envahi les rues d’Algérie. Comme d’habitude, le régime s’en était sorti par des pirouettes. Il avait mis fin à l’état d’urgence et promis des mesures économiques pour calmer la colère sociale.  Outre la structure originale du pouvoir, le cas algérien est particulier pour une raison historique: en 1988, un soulèvement populaire sans précédent avait déjà conduit le pouvoir à s’ouvrir. Les Algériens avaient découvert par la suite le multipartisme, la liberté d’expression, la multiplication des organes de presse… et la terreur islamiste.  Le régime se plaît donc à dire que l’Algérie et les Algériens ont déjà fait leur révolution, et que pour les islamistes, ils ont déjà « donné ». Le premier point est plus que discutable. Ce qui est certain, c’est que le traumatisme de cette époque récente joue comme un frein à la rébellion ouverte contre le pouvoir.  Pour autant, le régime d’Alger reste condamné à faire bouger les choses. Outre l’incurie économique des autorités, le plus grand pays du Maghreb est un foyer vivace de fondamentalisme, où se trouve notamment la matrice des organisations djihadistes au Sahel.  Certes, les formations islamistes ont été officiellement battues aux élections législatives de 2012. Mais il est encore prématuré de parler d’une véritable « exception algérienne ».

Lu sur Slate.fr

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