L’art, exutoire de la jeune génération en Algérie

Redaction

Dans les années 1960 et 1970 en Algérie, la création artistique était très dynamique. Mais à partir des années 80, puis avec la décennie de guerre civile, le pays a connu une crise de la culture. Aujourd’hui, l’art tente doucement de reprendre sa place dans la société algérienne avec une nouvelle génération de jeunes artistes.

«L’art est une poésie qui fait rêver les gens, les sort de leur quotidien et de leurs névroses.» Amina Zoubir est une jeune vidéaste plasticienne algérienne pour qui l’art dans son pays ne sert pas seulement à divertir mais est un engagement visant à faire réfléchir. «Les Algériens ne savent pas ce qu’est le divertissement gratuit, l’art est toujours une parole tenue, un témoignage, une revendication sur le réel» renchérit Fatma Oussedik, sociologue algérienne.

Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui l’art participe au débat dans la société civile algérienne. Après la «décennie noire», il est devenu un exutoire. A travers leurs oeuvres, les artistes s’engagent, ils matérialisent le mal-être de la société algérienne et contribuent à son changement.

Une politique culturelle patrimoniale

Il y a une grande liberté de parole en Algérie selon Amina Zoubir : «Les artistes algériens sont libres de traiter des questions un peu tabous. Ils sont là pour provoquer aussi avec des oeuvres subversives.» Les jeunes artistes algériens témoignent de leur époque et pour la sociologue Fatma Oussedik, «en témoignant, ils luttent et ils le font avec une énergie salutaire.»

Malgré le rôle prépondérant de la culture et des jeunes dans la société, la politique culturelle algérienne est aujourd’hui encore très patrimoniale et tournée vers les grands évènements culturels comme «Alger capitale de la culture arabe» en 2007 ou Constantine en 2015. L’accent est mis sur la rénovation de grandes institutions à Alger tels que l’Opéra ou le Musée d’art moderne et contemporain.

Certains jeunes artistes, comme le réalisateur algérien Yanis Koussim, arrivent tout de même à trouver des financements publics au cas par cas. Mais la jeune génération a besoin de davantage de soutien institutionnel et de structures officielles pour diffuser son travail. Il existe certes des lieux d’expression et d’exposition disponibles dans la capitale algérienne, mais il est aujourd’hui plus rentable d’y ouvrir une pizzeria qu’une galerie d’art. Et, pour se faire un nom et être reconnu par les institutions algériennes, les artistes doivent d’abord partir à l’étranger.

Alors en attendant une éventuelle aide de l’Etat, la société civile doit prendre le relais. «La scène culturelle algérienne est encore assez timide et doit être dynamisée par des associations, des évènements culturels spontanés, des initiatives privées, et pas seulement à Alger. Il manque de petits espaces alternatifs pour permettre aux artistes de s’exprimer et générer de l’intérêt pour l’art dans la population. Les gens ont besoin de culture et de divertissement, il existe des évènements culturels, mais ce n’est jamais assez,» explique la jeune vidéaste Amina Zoubir.

Instrument de dialogue

Et, selon elle, l’éducation a un rôle essentiel à jouer dans cette dynamique : «Il faut instaurer l’art dans l’école pour que les enfants algériens se familiarisent avec lui.» Aujourd’hui, la musique et le cinéma restent les deux formes d’expression artistique les plus accessibles du fait de leur immédiateté et des thèmes abordés, proches des préoccupations quotidiennes de la population.

La dynamisation de la culture passera aussi par le dialogue culturel en Méditerranée. L’enfermement imposé pendant la guerre civile a privé l’Algérie d’échanges avec ses pays voisins et a empêché une génération d’artistes de se projeter dans des créations contemporaines, d’où le retard pris par la scène artistique algérienne. Or l’art est un instrument de dialogue et Amina Zoubir déplore le manque de rencontres et d’échanges qui bride l’évolution des artistes.

Mais le dialogue culturel entre les deux rives de la Méditerranée est en train de reprendre. Par exemple, le ballet algérien Nya a fait l’ouverture de Marseille-Provence 2013. Surtout, l’art algérien est aussi une occasion pour les Français d’apprendre à connaître ce pays souvent ignoré. Et c’est exactement le travail qu’ont accompli les Françaises Aurélie Charon et Caroline Gillet en confiant leurs caméras à quatre jeunes artistes algériens, il y a deux ans, pour la réalisation du webdocumentaire Un été à Alger. Une belle illustration du va-et-vient culturel entre la France et l’Algérie.

Lu sur: liberation.fr