C’est le grand légionnaire avec un accent de l’est qui est le premier à tenter le coup : arracher une brassée d’oignons dans le potager d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et mordre à belles dents dans les tiges vertes, avant d’éclater de rire. Les tomates, trop vertes, seront pour plus tard. Personne ne sait quoi fairedes betteraves. Restent les oignons. Ce n’est pas que ce soit bon. Ce n’est pas que soit immense la tentation de manger des légumes plantés par les hommes morts ou en fuite qui étaient bien décidés à tuer jusqu’aux derniers les soldats français mettant les pieds dans cette zone de la vallée de l’Amettetaï, leur citadelle des roches. Mais les soldats ont une raison de se réjouir : ils sont en train determiner la conquête de la vallée où était concentré un dispositif majeur d’AQMIdans le nord du Mali, dans la vaste zone de l’Adrar des Ifoghas. Les hommes sont rincés, leurs lèvres sont gercées, leurs nez pèlent, ils ne se sont pas lavés depuis des jours, mais l’air de la victoire leur donne des envies de fantaisie, et même d’oignons.
Dans la première phase de l’opération Serval, les soldats ont été sur les pistes, àavaler de la poussière. L’avancée des premières semaines a permis de prendreGao, Tombouctou, Kidal et Tessalit. Puis la guerre a donné l’impression de s’éloigner. Elle ne faisait que se déplacer vers le nord, pour entrer dans une phase différente, celle de la confrontation directe avec AQMI. L’armée malienne, à ce stade, est restée le long d’une ligne qui suit à peu près le cours du fleuve Niger. Ici, dans le nord, c’est avec l’armée tchadienne que se mènent les opérations et dans ce recoin de l’Adrar des Ifoghas, ils viennent d’entrer dans un sanctuaire d’AQMI.
Pour une armée conventionnelle, le paysage de cette région, vu de loin, est aussi séduisant qu’un coup de baïonnette dans le dos. De près, c’est pire encore. Entouré par des plaines qui dérivent vers le désert, l’adrar de Tigharghâr, à l’ouest du massif des Ifoghas, ressemble au résultat d’une grande colère géologique échouée sur le sable, avec son relief tourmenté d’éboulis, de pitons, d’amas de pierres volcaniques noires et coupantes, truffées d’anfractuosités.
En bas, l’oued, couloir de passage de la vallée de l’Amettetaï, traverse l’adrar d’est en ouest, bordé d’arbres qui permettent de déjouer la plupart des moyens de détection à distance. Un endroit parfait pour une guerre à mauvaises surprises. Au pied de ce paradis de l’embuscade, il y a le bien le plus précieux qui soit, pour qui veut s’y retrancher : l’eau.
Les responsables d’AQMI ont passé des années à organiser cette géographie parfaite en citadelle. Mais la citadelle vient de tomber. Dans cette zone, un groupe de combattants d’AQMI a été touché la semaine précédente par des frappes françaises qui ont permis de « détruire », conformément aux voeux du président français, François Hollande, un groupe dirigé par Abou Zeid. Le corps de ce dernier, l’homme qui détient les otages français enlevés à Arlit, au Niger, est en cours d’identification. Mais les dommages subis par le groupe qu’il commandait sont nets. Alors qu’une grande partie du Tigharghâr a été prise, des interceptions de communications montrent que les rebelles qui sont encore en mesure decommuniquer s’encouragent à « fuir à dos de chameau ».
La guerre au Mali n’a pas pris fin, mais à Amettetaï, elle vient de connaître un renversement majeur. C’est la première fois que les forces françaises et leurs alliés tchadiens ont affronté, au sol, des combattants qui, depuis le début de la phase terrestre, dans la foulée des frappes aériennes entamées le 11 janvier, ont vu à chaque fois les hommes d’AQMI fuir l’affrontement direct. A Tombouctou, à Gao, ou à Kidal, AQMI et ses alliés des groupes rebelles islamistes avaient déjà quitté les lieux dans la précipitation, surpris sans doute par la vitesse de l’avancée française à travers l’espace immense du Mali.