Les élections du 5 mai s’annoncent comme les plus disputées depuis l’indépendance. Car la jeune génération remet en cause quarante ans de discrimination positive en faveur des Malais.
Le fait que le Premier ministre malaisien, Najib Razak, ait attendu la fin de son mandat pour décider de la date du scrutin montre à quel point son parti et lui sont inquiets. [Aux élections de 2008, pour la première fois en quarante ans, la coalition gouvernementale du Barisan National (BN), emmenée par l’Organisation nationale unifiée malaise (Umno), n’avait pas obtenu la majorité absolue.]
Depuis les dernières élections, la société malaisienne a gagné en maturité, en particulier dans la jeune génération. D’où la crainte du Premier ministre sortant, surtout que le 5 mai prochain quelque 3,2 millions de Malaisiens se rendront aux urnes pour la première fois. Les voix et le choix de cette génération qui a grandi avec Internet seront déterminants pour l’avenir du pays.
“Les Malais n’aiment pas qu’on les fasse chanter”
L’opposition, réunie au sein du Pakatan Rakyat, l’a d’ailleurs bien compris, qui présente plus de jeunes candidats que le BN. Les Malaisiens ne vivent plus dans la crainte entretenue par le BN et ses proches, qui insinuent que sans eux l’équilibre délicat entre les diverses communautés – malaise, chinoise et indienne – serait rompu, et que le chaos s’installerait de nouveau inévitablement. A l’évidence, le sentiment qui prévaut désormais est celui du “Malayu pantang dicabar” (“Les Malais n’aiment pas qu’on les fasse chanter”).
Par conséquent, ce chantage par la peur des conflits ethniques, qui a si bien fonctionné durant quatre décennies, perd de son efficacité. La modernisation de la société permet désormais aux Malaisiens d’avoir confiance en eux-mêmes et dans leur capacité à vivre ensemble, dans la diversité et l’harmonie. La majorité des Malais vivent désormais en milieu urbain, loin des kampong [villages].
Ils aspirent à une vision plus idéaliste de leur société multiethnique.A l’âge des réseaux sociaux et de la société de l’information instantanée, toutes les générations connaissent et apprécient le potentiel de leur pays, longtemps tenu en otage par le discours soigneusement mis au point par la coalition au pouvoir. Un terrain nouveau s’ouvre sur la scène politique, où le vote transcendant les clivages ethniques se généralisera de plus en plus. Cette tendance explique en partie pourquoi la coalition de l’opposition a gagné du terrain dans l’électorat BN lors des dernières élections, en 2008. Le 5 mai prochain, les nouveaux électeurs décideront laquelle des deux coalitions l’emportera. Ils sont tous conscients qu’une Malaisie n’excluant aucune communauté sera plus forte et plus démocratique.
Les plus brillants prennent le chemin de l’exil
La politique de discrimination positive en faveur des Malais, mise en place dans les années 1970 pour contrer la prédominance de la communauté chinoise dans l’économie, s’avère inadaptée à mesure que le pays s’enrichit et que le revenu moyen augmente. La prochaine consultation marque une nouvelle étape pour que le BN mette un terme à ces pratiques discriminatoires. Si l’opposition obtient plus de sièges par rapport à l’élection précédente, elle obligera par conséquent le BN à engager de nouvelles réformes. Les plus brillants éléments du pays, notamment parmi les Chinois et les Indiens, prennent le chemin de l’exil [un effet induit par la politique de discrimination positive]. La fuite des cerveaux est endémique et elle doit cesser.
La Malaisie peut ouvrir son espace démocratique d’autant plus facilement que le pays compte une classe moyenne nombreuse, ainsi qu’une société civile dynamique. Les médias devraient s’affranchir des diktats des partis politiques et endosser pleinement leur rôle de quatrième pouvoir , à l’instar de leurs homologues en ligne. Une Malaisie véritablement démocratique pour toutes les communautés qui la composent deviendra un acteur de poids en Asie. En résumé, la Malaisie se trouve à un tournant de son histoire. Ce scrutin servira de test pour l’avenir du pays, qui en sortira ou non comme un Etat pleinement démocratique.
Lu sur Courrier international et Nation