«Mystère autour de la santé de Bouteflika, les Algériens sont blasés»

Redaction

Alors qu’il tentait, il y a quelques semaines, de modifier la Constitution à son avantage, afin de briguer un quatrième mandat à la tête de l’Algérie, Abdelaziz Bouteflika est aujourd’hui dans un état de santé qui ne laisse présager rien de bon pour son avenir politique. Kader Abderrahim, maître de conférence à Sciences Po et chercheur à l’IRIS, analyse le secret d’Etat gardé par l’Algérie autour de son président.

Abdelaziz Bouteflika est-il vraiment en bonne santé ? Est-il d’ailleurs vraiment en vie ? Pour les Algériens, le mystère reste entier malgré les derniers communiqués rassurants sur l’état de santé du président.

A un an de l’élection présidentielle, l’Algérie préserve un lourd secret autour du chef de l’Etat. Pour Kader A. Abderrahim, maître de conférence à Sciences Po et chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), les évènements de ces derniers jours et l’hospitalisation du président Bouteflika prouvent une nouvelle fois aux Algériens qu’ils n’ont rien à attendre ni à espérer de leur Etat.

Pourquoi le gouvernement est-il si flou concernant l’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika. Que cherche-t-il à protéger ?

Kader Abderrahim : Je ne sais pas ce qu’ils cherchent à protéger mais ce que l’on peut dire, c’est que d’une manière générale, le régime a toujours été opaque.

Le 27 avril dernier pourtant, lorsque le président algérien a été hospitalisé, le gouvernement a diffusé un communiqué à peine quelques heures plus tard. Mais la fenêtre a très vite été refermée et les Algériens n’ont pas eu de nouvelles depuis.

C’est une situation extrêmement grave car elle mène à de nombreuses rumeurs, de la spéculation et de la manipulation.

Cela déstabilise les institutions et abîme l’image du pays.

Cet évènement nous éclaire simplement sur le fait que rien ne change, et que le régime algérien n’apprend rien de ses erreurs du passé.

Les médias algériens, dont certains se sont dits victimes de censure, ont largement dénoncé une désinformation du gouvernement, assurant même parfois qu’Abdelaziz Bouteflika ne serait pas en France mais rentré en Algérie et dans un état grave. Comment les Algériens perçoivent ils cette situation ?

Kader Abderrahim : Le peuple algérien n’attend plus rien de ses dirigeants. L’hospitalisation d’Abdelaziz Bouteflika et la communication autour de cet événement, n’est qu’un nouvel avatar d’un régime à bout de souffle.

L’Algérie est peut-être aujourd’hui le seul pays au monde qui soit à la recherche de son Président. Un Président qui, en retour, montre un très grand mépris pour sa population. C’est une situation bloquée, paralysée et les Algériens savent qu’ils n’ont rien à attendre de leur gouvernement. Bien qu’il y ait eu un certain nombre de communiqués, notamment du Quai d’Orsay, les informations se contredisent, il y a beaucoup d’à peu près et rien n’est vérifiable.

Il n’y a donc rien à attendre si ce n’est de compter les jours qui nous séparent de son retour pour enfin comprendre et savoir.

Aujourd’hui, quelles seraient les conséquences d’une incapacité de gouverner du président Bouteflika ?

Kader Abderrahim : En principe, et selon les termes de la Constitution, c’est le président du Sénat qui doit assurer l’intérim en cas d’empêchement du Président de la République.  C’est donc au président la chambre basse que revient la responsabilité de préparer l’élection présidentielle, d’organiser ce scrutin, ainsi que la campagne électorale.

C’est une situation qui doit désormais être envisagée car nous pouvons commencer à croire qu’Abdelaziz Bouteflika se retirera de la vie politique dans les mois qui viennent. Maintenant où dans un an, lors de la prochaine élection présidentielle.

Vous estimez donc qu’il ne tentera plus, comme il le laissait entendre récemment, de modifier la Constitution afin de briguer un quatrième mandat ?

Kader Abderrahim : Cela va maintenant être très difficile pour lui. Il n’a pas présidé de conseil des ministres depuis plusieurs mois, depuis la révélation de sa maladie en 2005, son rythme de travail s’est fortement ralenti, alors que la gestion des affaires d’Etat nécessite une présence constante. Il passe désormais le plus clair de son temps chez lui.

Le problème majeur est désormais la question de la succession. Comme sera-t-elle gérée par le régime ? Quels sont les prétendants ? Autant de questions qui occupent désormais le sérail politique à Alger.

Pensez-vous que l’Algérie soit prête à l’après-Bouteflika ?

Kader Abderrahim : Il ne faut pas se leurrer, le prochain président sera issu du Sérail. Il n’y a aucun changement à attendre.

Le successeur d’Abdelaziz Bouteflika sera un homme de compromis et il ne faut en aucun cas attendre de bouleversements.

Aucune des personnalités qui prétendent à sa succession ne s’impose réellement. Il y aura des candidats, mais une fois encore, on ne parlera pas de projet ou d’idées, mais d’enjeux de personnes.

La stratégie d’Abdelaziz Bouteflika de « diviser pour mieux régner » a fonctionné. Les centres de décisions ont été atomisés, aucun dauphin n’a été désigné. L’inquiète sur l’après-Bouteflika est désormais un des éléments de la vie politique algérienne.