Prisonnier à Guantanamo, l’Algérien Nabil Hadjarab témoigne

Redaction

« Libérable » depuis 2007, l’Algérien Nabil Hadjarab est toujours détenu sur la base américaine de Guantanamo. Il n’a été ni inculpé, ni jugé. Gréviste de la faim, il est désormais alimenté de force, deux fois par jour. Il raconte son calvaire.

Nabil Hadjarab, 33 ans, n’en peut plus. Celui que ses gardiens de Guantanamo ont affectueusement baptisé le « sweet kid » (le « gentil gamin ») est à bout de courage et d’espoir, après onze ans de détention sur la base américaine, de longues semaines de grève de la faim et le gavage forcé qu’il subit désormais.

Nabil se débat dans un cauchemar kafkaïen: ses geôliers, qui n’ont retenu aucune charge contre lui, l’ont déclaré libérable depuis 2007. Le « sweet kid », né en Algérie, désire retrouver la France où il a grandi, où vit sa famille, pour laquelle son grand-père et son père se sont battus dans les rangs de l’armée française. Mais la France lui refuse obstinément l’asile.

Démarches de la dernière chance

Ses proches ont jeté leurs dernières forces dans la bataille. En février, l’oncle de Nabil, Ahmed Hadjarab, a lancé une pétition sur le site change.org, assortie d’une lettre « afin de convaincre le Président François Hollande, le ministre de l’Intérieur Manuel Vallset le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius d’agir dans le bon sens ». Et pour que Nabil puisse, enfin, être accueilli « dans le pays qu’il aime. »

En mars, Mes Sylvain Cormier et Joseph Breham, les avocats de Nabil et de son oncle, ont porté plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction parisiens, pour »enlèvement, séquestration, tortures et actes de barbarie ». Sans effet.

Nabil raconte son enfer

En désespoir de cause, Me Breham a déposé, vendredi 26 avril, une requête en référé-liberté auprès du tribunal administratif de Paris. Objectif : que le ministre de l’Intérieur fasse « droit à la demande de Monsieur Ahmed Hadjarab d’accueillir son neveu Nabil sur le territoire français et de prendre toutes mesures utiles propres à faire cesser le traitement inhumain auquel il est soumis. »

Nabil Hadjarab a raconté son histoire à son avocate Tara Murray, de l’association juridique britannique « Reprieve », lors d’une conversation téléphonique non-classifiée. En exclusivité, L’Express en publie l’intégralité.

« Ma priorité a toujours été ma vie, ma santé, mon corps. Aujourd’hui, je ne peux quasiment plus marcher. Si j’ai entamé cette grève de la faim, c’est surtout parce que j’ai perdu tout espoir de sortir d’ici.

Je ne vois plus aucun intérêt à prendre soin de moi. Je le faisais pensant que cela pourrait me servir après ma libération, que je continuerais à faire de l’exercice, maintenir une bonne santé et profiter un maximum de la vie, dehors. Mais ce jour n’est jamais venu, et maintenant, je suis épuisé, j’abandonne. Je n’aurais jamais imaginé être en grève de la faim. Si je le fais, c’est parce que je veux ma liberté, je veux connaitre ma destinée.

Je ne me sens pas bien, je ne suis pas en bon état. Cela fait dix semaines que j’ai entamé la grève de la faim, deux jours après les premiers détenus.

J’ai perdu environ 20kg depuis.

Les premiers jours, je me suis évanoui à plusieurs reprises.

Je me sens faible, mes muscles sont douloureux, ma vision devient mauvaise, je sens une pression dans mes yeux.

Le 22 mars, j’ai été nourri de force pour la première fois. Depuis, je le suis toujours, deux fois par jour. Je trouve ça fou qu’ils prennent la décision de nous garder en vie en nous nourrissant de force. Etre nourri de force, ce n’est pas naturel. J’ai le sentiment que cela ôte à mon corps toute réalité. Ils vous placent sur une chaise, qui ressemble à s’y méprendre à une chaise d’exécution électrique, vos jambes et vos épaules sont sanglées. Si vous refusez de les laisser insérer le tube dans votre narine, ils vous tiennent la tête en arrière. Puis, en présence des gardes, le personnel médical insère les tubes. Il suffit que ça ne soit pas fait correctement pour qu’ils déversent du liquide dans vos poumons.

Je connais des détenus qui ont développé de graves infections dans le nez. Ils doivent maintenant garder ces tubes dans le nez, en permanence.

Je hais les entendre me dire que j’endommage ma santé. Comme s’ils m’apprenaient quelque chose. C’est leur rôle de faire quelque chose pour améliorer nos conditions, notre traitement, pour nous aider. Mais ils ne font rien. Ils ne font que nous maintenir en vie, en nous gavant.

Je suis perdu. Je souffre au quotidien. Cela n’est rien de nouveau, ça fait onze ans que je souffre. Avant, au moins, j’essayais d’avoir de l’espoir, mais il y a des limites à tout.

J’espère que les politiciens comprendront qu’il ne s’agit pas simplement de nourriture. C’est plus que de la nourriture. Je fais cela pour leur faire comprendre combien ceci est important pour moi. Je ne peux plus supporter d’être retenu ici. Donc, je me sacrifie.

La majorité des détenus est en grève de la faim. Ils ne sont plus que quelques uns à manger.

La plupart des grévistes ressemblent à des squelettes. Ils n’ont plus que la peau sur les os.

Les gardiens tentent de contrôler la situation en nous plaçant en isolement, pour pouvoir mieux nous surveiller. Parce que je refuse de m’alimenter, j’ai été placé en isolement.

J’apprécie de voir qu’il y a des gens qui nous comprennent et militent pour mes droits et ceux des autres. Ceux qui me soutiennent, je ne les oublierai jamais.

Je suis Français, je l’ai toujours été. J’ai toujours eu un lien avec la France, ma famille est française. C’est ma patrie, et le français est ma langue maternelle. La France doit faire quelque chose. C’est trop dur pour moi à présent. Seule l’aide de la France peut me permettre de retrouver ma liberté.

Je veux rentrer chez moi, en France. Je suis arrivé à la conclusion que rien, pas même un meilleur traitement, de meilleures conditions ne peuvent se substituer à ma liberté. Je suis ici en détention indéfinie, sans charges retenues contre moi. J’attends depuis si longtemps de retrouver ma liberté. Je n’en peux plus de voir mes droits constamment violés. La seule solution est de me laisser partir. Je n’ai jamais rien fait de mal. Je n’ai jamais même eu l’intention de commettre quelque crime que ce soit. Le seul cas de figure dans lequel j’envisage de m’alimenter à nouveau, c’est lorsque je verrai des détenus quitter Guantanamo. Il est temps de nous laisser sortir d’ici. »

 

Lu sur L’Express