Au terme de trois mandats présidentiels, la fin de l’ère Bouteflika est proche. L’Algérie retient son souffle, tant l’avenir est incertain malgré un semblant de stabilité. Une tension accrue par l’opacité ou du moins la communication brouillonne des officiels algériens sur l’état de santé du chef de l’État depuis son hospitalisation à Paris. La question de l’Algérie post-Bouteflika intéresse les Algériens, mais pas seulement : toute la région est concernée, comme en témoignent les tensions sécuritaires à la frontière tunisienne, malienne et libyenne.
Il est vrai qu’avec des frontières communes avec chacun des pays du Maghreb, l’Algérie occupe de facto une position centrale. À l’échelle du monde arabe, l’Algérie est à la fois le plus grand pays et l’un des plus peuplés (près de 36 millions d’habitants).
Derrière la façade présidentielle et gouvernementale, le(s) détenteur(s) du pouvoir réel reste(nt) difficile à identifier. Si les acteurs décisionnels sont traditionnellement issus du Front de Libération Nationale (FLN), véritable « parti-État » au pouvoir depuis l’indépendance, des généraux de l’armée plus ou moins bien identifiés pèsent encore et toujours sur l’appareil d’État. Ce système opaque est responsable de la défaillance économique et sociale du pays, confronté au fléau de la corruption qui mine l’administration comme l’ensemble du tissu social. D’une certaine manière, le pays n’a définitivement tourné la page ni de la période coloniale, ni de l’indépendance, ni de la guerre civile. Un « passé qui ne passe pas », en somme.
En 1999, lors d’élections présidentielles anticipées, Abdelaziz Bouteflika accède à la présidence de la République sur la base d’un programme de réconciliation nationale. Le dispositif de « restauration de la paix civile » est adopté par référendum en septembre 2005 et comprend l’amnistie partielle et conditionnée des islamistes qui avaient pris le maquis. Malgré le maintien de groupes djihadistes (auteurs d’attentats sporadiques) sur le territoire algérien, le pays connaît une forme de stabilisation. L’Algérie vit cependant dans une tension sociale permanente entretenue par un chômage structurel qui frappe une jeunesse en proie au désespoir et à la frustration.
Une jeunesse qui ne s’est pas lancée dans l’aventure révolutionnaire à la suite du soulèvement du peuple tunisien, malgré des troubles sociaux et une série d’immolations en janvier 2011. Le souvenir traumatique de la « décennie noire », le désarroi général et la déliquescence des partis politiques d’opposition ont permis au régime de maintenir un statu quo mortifère. Le régime parvient à prévenir tous débordements grâce à la mobilisation massive de son appareil répressif, des réformes plus formelles que substantielles et surtout le recours à la manne des hydrocarbures pour acheter une paix sociale plus fictive que réelle. Animé par une colère sourde, le peuple algérien s’exaspère de la mainmise des richesses du pays par une minorité invisible. L’après Bouteflika risque donc d’ouvrir une période d’instabilité nourrie par les éléments constitutifs du drame algérien : un pays riche de sa jeunesse et de ses ressources gazières, mais gangrené par la corruption et les inégalités sociales. Une situation qui le rapproche et l’éloigne à la fois de son voisin tunisien.
Lu sur L’Économiste Maghrébin