J’ai demandé officiellement au Président de la République, M. François Hollande, la déchéance de ma nationalité française. C’est une décision grave, mûrement réfléchie et sans appel.
Je suis né français. J’aime la France, j’aime ses valeurs, sa culture, son Histoire, ses principes de liberté, ses droits de l’Homme, sa générosité, ses écrivains, ses musées, ses parfums, sa gastronomie. Pour un enfant qui a été bercé par les fables de Lafontaine, pour un étudiant qui a été nourri par les philosophies de Rousseau et de Voltaire, l’homme que je suis devenu à 41 ans ne peut plus respirer l’oxygène liberticide et corrompu qui règne en France aujourd’hui.
La France qui assigne à résidence des femmes parce qu’elles portent un bout de tissu sur leur visage, la France qui me met en prison parce que j’ose dévoiler et condamner un système de parrainage présidentiel des élus corrompu et corruptible, la France qui déclenche deux contrôles fiscaux internationaux pour me faire taire, la France qui laisse en liberté des hommes de pouvoir corrompus, la France qui laisse sévir impunément les injustices et les discriminations dans des quartiers entiers de son territoire, la France qui laisse la haine de l’autre se propager comme une traînée de poudre dans l’indifférence de ses élites politiques et intellectuelles, « cette France là », je ne l’aime pas et je ne pourrai jamais l’aimer.
Comment le dire ? Comment l’exprimer de la façon la plus juste, voir la plus utile possible ? En touchant au symbole.
J’ai demandé officiellement au Président de la République, M. François Hollande, la déchéance de ma nationalité française. C’est une décision grave, mûrement réfléchie et sans appel.
Cette citoyenneté française au nom de laquelle je me suis présenté à plusieurs élections (municipales, cantonales, législatives et en vain aux présidentielles), cette citoyenneté française au nom de laquelle j’ai mené pendant 20 ans des combats pour les droits de l’Homme avec Hassan Ben M’Barek et Jean-Bruno Roumegoux, en menant des campagnes d’inscription sur les listes électorales en banlieues où je suis né, cette citoyenneté française au nom de laquelle j’ai tenté en vain de faire voter des lois dont l’inscription automatique de tous les citoyens sur les listes électorales et le remplacement du parrainage des élus par celui de 100 000 citoyens pour les candidat(e)s aux présidentielles, cette citoyenneté française pour laquelle j’ai mis ma vie et ma liberté en danger afin de contribuer à la libération d’une famille française en otages au Nigeria, cette citoyenneté là, je ne veux plus porter ses couleurs. Car non seulement la France ne me fait plus rêver, mais pire que cela, comme des millions d’autres Français de seconde zone, je ne crois plus en la France ni à son modèle d’intégration républicain fondé en théorie sur l’égalité des chances, mais qui en réalité repose sur l’esprit de corps (phénomène étudié au 14ème par le sociologue maghrébin Ibn Khaldoun sous le nom de « asabiya »).
Certains peuvent considérer cette décision comme un caprice ou un « coup médiatique ». Ou tout simplement comme une folie à une époque où des milliers d’étrangers risquent leur vie dans des embarcations de fortune pour goûter aux miettes de l’eldorado occidental. Et rejoindre la France où des centaines de milliers de clandestins vivant dans des conditions précaires depuis des années n’ont qu’un rêve, celui de se marier avec une Française qui leur ouvrira le sésame de la citoyenneté de Marianne. À défaut, ils seraient heureux d’obtenir un simple récépissé. Belle illusion. De tout cela, j’en suis conscient.
Non, renoncer à ma citoyenneté de naissance n’est pas une décision légère qu’on prend de gaieté de cœur. Loin s’en faut. Elle porte le signe de la gravité d’Etat.
C’est à la fois un aveu d’échec personnel et collectif.
Echec personnel, car je n’ai pas réussi à enrichir ma citoyenneté française des valeurs auxquelles je crois, de justice et de solidarité héritées de ma culture musulmane. Tout ce que j’ai pu entreprendre depuis 20 ans a été accueilli avec les bras et le regard de la suspicion. « Suspicion » parce que j’étais un jeune de banlieue qui voulait en 1995 initier les jeunes aux nouvelles technologies. « Louche » car j’ai défendu une citoyenneté de culture musulmane en 2001 après le 11 septembre. Oui je le dis haut et fort, tous les musulmans de cette planète ne sont pas des terroristes en puissance. « Voyou » car au nom de la présomption d’innocence, en 2009, j’ai entamé une grève de la faim de 20 jours et payé la caution de 50 000 euros pour la libération de Maitre Karim Achoui, condamné sans preuves et emprisonné 51 jours avant d’être acquitté. « Dangereux » car j’ai osé en 2010 aider les Roms considérés injustement comme des parias européens. « Islamiste radical » car au nom de la défense du principe constitutionnel de liberté de mouvement dans l’espace public, j’ai pris la défense des femmes qui voulaient continuer à porter librement le Niqab dans la rue. Et même quand j’ai écrit en 2000 un livre-entretien avec les Chefs d’Etat du G7 dont Bill Clinton, Tony Blair et Jacques Chirac, certains ont pris soin d’en douter.
Un échec collectif, car au travers de ma décision s’opère l’échec du modèle républicain d’intégration des millions de Français issus de la diversité à qui la France, au-delà de la gratuité de la citoyenneté de sol, de l’école, de la sécurité sociale et du cadeau empoissonné du RSA, refuse de reconnaître leur juste place au sein de la société en dehors du football et de la télé-réalité. Une citoyenneté de façade ou de seconde catégorie ne les intéresse pas.
J’ose le dire. La France n’a pas besoin de « ces gens là », de ces millions de gens qui ont cru en elle. Pire que cela, elle en a même peur. De l’entretien de cette peur, des partis politiques se nourrissent. Ils prospèrent. Pauvre France, pauvres Français ! A force de jouer avec le feu de la haine et de la stigmatisation gratuite, à terme, la France risque de s’en mordre les doigts. Car elle préfère favoriser et mettre en lumière les éléments les plus extrémistes et radicaux de la société déjà bien fragile sur le plan du vivre-ensemble. C’est parce que la France ne perçoit pas ces populations françaises d’origines étrangères comme une richesse mais comme une plaie et un problème au cœur de son identité que la France a peur. Et le débat sempiternel depuis 1981 sur le non vote d’une loi accordant le droit de vote aux étrangers lors des élections locales est symptomatique du prisme à travers lequel la France et ses gouvernements de Droite comme de Gauche perçoivent ces « Français colorés ». A leurs yeux, ce ne sont pas des Français mais des Etrangers.
Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais fait vivre mon autre nationalité, celle de mes parents algériens. J’ai décidé aujourd’hui de m’y atteler. Je ne dis pas que le soleil est plus clément à Tamanrasset qu’à Dunkerque. Je pense juste que les défis sont plus grands et l’espérance plus douce.
Pour honorer Albert Camus, » entre ma patrie et ma mère », j’ai choisi ma mère car au bout de 41 ans, la France a réussi l’exploit de faire de moi… un Etranger.
Sincères salutations !