Alors qu’un balcon s’est effondré le mois dernier rue Didouche Mourad, faisant un mort et deux blessés, le débat resurgit : que faire du centre d’Alger ? Restaurer ou raser ? Retour sur la spécificité du bâti du centre-ville, qui pose davantage que de simples problèmes d’architecture ou d’urbanisme.
Nouvelles façades, beach-volley en plein centre-ville, salles de cinéma et terrasses de café ouvertes jusqu’à 1h du matin : le projet de Hakim Bettache, P/APC d’Alger-Centre pour redynamiser le centre-ville, a été assombri par une autre actualité. Rien qu’au mois de juin, deux balcons de la rue Didouche Mourad se sont effondrés, l’un tuant un ouvrier, mettant en lumière l’état de délabrement des bâtisses du centre d’Alger. Tous les spécialistes d’architecture, d’urbanisme et de préservation du patrimoine s’accordent à dire qu’il est grand temps d’agir avant qu’il ne soit trop tard et que le centre-ville se trouve déjà dans un état d’insalubrité avancé.
«J’habite ici depuis plus de vingt ans et chaque jour, ça tombe un peu plus en ruine. Il y a deux semaines, un balcon s’est effondré, une personne est morte. Refaire les façades, c’est cacher le soleil avec un tamis, il suffit de rentrer dans un bâtiment pour se rendre compte de la réalité. On gâche la beauté d’Alger, son patrimoine historique et architectural. Lorsque je marche, je n’exclus pas que quelque chose va me tomber sur la tête», confie un habitant du boulevard Mohammed V. «Il y a urgence, affirme pour sa part Mahmoud Bourkaïb, architecte. Le ravalement des façades ne suffit pas, c’est un cache-misère.»
Un constat amer que fait également l’architecte et artiste peintre Farid Benyaa : «Il est urgent pour les pouvoirs publics de restaurer le bâti, car le danger est réel. Le centre-ville constitue un patrimoine à protéger et en aucun cas il ne faudrait le raser, même si certains architectes sont de cet avis. Il suffit d’une véritable volonté politique de préserver et promouvoir le patrimoine architectural.» Ce que martèle aussi l’architecte Larbi Merhoum : «La réhabilitation d’un point de vue technique n’est pas une chose complexe, elle doit seulement résulter d’une volonté politique.»
Bricolage
La wilaya d’Alger a bien engagé quelques timides travaux sur les grandes artères de la capitale, mais ils ne sauraient se montrer suffisants. Hakim Bettache explique que la volonté politique se heurte aussi à d’autres problèmes. «Une enveloppe de 100 millions de dinars a été dégagée par la mairie pour rénover le quartier de Tangine. Il faut que l’Etat restaure ces chefs-d’œuvre, ces monuments. Mais il faut aussi savoir qu’il n’existe que très peu d’entreprises capables de réaliser un tel travail. Longtemps, le patrimoine historique a été bafoué. Il faut en finir avec le bricolage.»
Dans certains cas, ne faudrait-il pas simplement raser pour reconstruire à zéro ? Architectes et sociologues s’opposent farouchement à cette solution radicale. Larbi Merhoum explique qu’aujourd’hui, «les architectes ne sont plus capables de reproduire les bâtisses avec autant de précision». Mais la question n’est pas seulement technique. «Dans l’inconscient collectif, chaque bâtisse représente un vécu, une histoire et c’est pour cela que le terme raser est traumatisant, qu’il est rejeté», analyse Safar Zeitoun, sociologue spécialiste des questions de la ville.
En 2010, la destruction de l’immeuble de la Parisienne a été terrible pour les habitants, un véritable traumatisme.» Faïka Medjahed, psychanalyste, continue sur cette idée : «Dans notre inconscient, le quartier représente notre peau, notre chair. Bien évidemment, enlever un immeuble comme celui de la Parisienne, c’est toucher à la chair et à la sécurité qu’elle apporte.» Pour ne pas en arriver là, un autre problème reste à résoudre : celui de la dégradation quotidienne et du manque d’entretien des parties communes, comme le dénonce Lounis Aït Aoudia, président de l’association des amis de la rampe Louni Arezki, œuvrant en faveur de la préservation du patrimoine du centre-ville d’Alger. «La saleté est partout autour de nous, les cages d’escaliers des bâtiments sont repoussantes et pleines d’immondices. Il faut aussi agir au plus vite. Le drame est que nous ne sommes plus choqués par ce tas d’ordures, nous sommes entrés dans une phase d’accommodation.»
Syndics
Safar Zeitoun estime que le problème est «structurel». «Il est lié à la réappropriation des biens vacants qui a eu lieu dans les années 1980, sous Hamrouche. On est passés d’un propriétaire qui est l’Etat, à plusieurs propriétaires, ce qui rend la gestion des immeubles plus difficiles.». Cette cession des biens vacants a entraîné la disparition des concierges et des établissements de gestion. Pour Faïka Medjahed, tout le problème est là : «On n’associe plus la population à la chose publique, aux biens qui leur appartiennent, poursuit-elle. Le processus de décision exclut les habitants de la capitale, alors qu’il s’agit pourtant de leurs immeubles. Aujourd’hui, les logements des concierges sont occupés et on s’étonne que la situation se dégrade.»
Larbi Merhoum suggère pour sa part la création de syndics de copropriété ainsi que d’entreprises de gestion, ce qui, pour l’heure, n’existe nulle part en Algérie. «C’est normalement le rôle de l’OPGI, mais cet organe, comme d’autres, ont prouvé que la centralisation de ces tâches n’a pas toujours les résultats escomptés.» Pour autant, des micro-expériences commencent à voir le jour dans certains immeubles du centre-ville, comme au Sacré-Cœur, où s’en réjouit un de ses résidents : «J’habite dans cet immeuble depuis quatre ans, et nous avons une sorte de syndic informel. En réalité, tous les propriétaires et locataires payent des charges chaque mois pour l’entretien des parties communes, de l’ascenseur, de la cage d’escalier et pour le ménage. Pour le moment, cela fonctionne très bien.» Des initiatives citoyennes qui laissent espérer des jours meilleurs pour le centre d’Alger, et qui pourraient, pourquoi pas, donner des idées à une APC pour qui la revitalisation du Centre semble être une priorité.
Amrane Mahfoud Medjani