Revue de presse. Athée et prof en France, j’ai posé un jour de congé pour l’Aïd

Redaction

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Lu sur Rue89
Erwan Chasles est prof de français et d’histoire-géographie dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis. Il nous explique pourquoi, sans être musulman, il a décidé cette année de poser un jour de congé pour l’Aïd-el-Kébir. 

Je suis athée et anticlérical. Et cette année, je n’ai pas travaillé pour l’Aïd-el-Kébir. Non, je ne me suis pas converti à l’islam, j’ai seulement exercé mon droit à ne pas travailler (en demandant une journée) pour des raisons religieuses.

Enseignant en lycée professionnel, beaucoup de mes élèves, parfois la majorité, sont musulmans, de foi ou de tradition familiale. Je savais qu’ils ne seraient pas présents ce mardi, comme le permet la loi.

Les années précédentes, je venais travailler sans savoir combien d’élèves j’aurais en classe avec moi. Je prévoyais donc des activités déconnectées des cours car je ne voulais pas pénaliser les élèves qui utilisaient leur droit.

Mais celles et ceux qui étaient présents acceptaient mal cette situation. :

« Pourquoi on ne ne continue pas le cours ? Ça sert à quoi de se déplacer si on ne travaille pas ? J’aurais mieux fait de rester chez moi ! »

Certes, je leur répondais qu’ils apprenaient des choses, que l’on approfondissait des éléments de méthode alors que nous n’en avions pas le temps d’habitude. Mais c’était moi qui me retrouvais en colère. Puisque ce que nous faisions était bien utile, je pénalisais les élèves absents. Or, d’une part, c’est leur droit de ne pas venir au lycée ce jour-là, et d’autre part, il ne faut pas négliger que pour certains, ce n’est pas leur choix mais celui de leur famille.

Le principe de laïcité pas respecté

En tant qu’enseignant soucieux d’égalité, je ne peux que défendre le fait que ce jour soit férié pour tous.

En outre, l’organisation actuelle de cette journée ne respecte pas, selon moi, le principe de laïcité de la loi de 1905 :

« Article premier : la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

Les élèves qui sont absents ce jour affichent donc publiquement, par la force des choses, leur croyance. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la loi dite sur le voile – car elle visait principalement les musulmans – leur demande au contraire de masquer totalement leur appartenance religieuse. Nous sommes donc toutes et tous informés de qui est musulman et de qui ne l’est pas.

Au-delà du fait que je n’ai pas à connaître la religion de mes élèves, j’estime que cela peut entraîner des préjudices ou des conflits qui ne sont pas utiles.

« Mais pourquoi tu ne fais pas l’aïd ? Tu t’appelles Faiçal et t’es pas musulman ? » ;

« Oh ! T’as vu, Kevin n’était pas là, ça doit être un converti ! »

Il est vrai que cela peut être l’occasion de débats intéressants dans le cadre de l’éducation civique, mais je considère que mes cours de français et d’histoire-géo sont suffisants pour aborder ces thématiques.

Faisons du 18 mars un jour férié

De plus, cet étalage public de nos pratiques (ou traditions familiales) concerne aussi les adultes de l’établissement. En effet, depuis une circulaire de 1967 [PDF], les fonctionnaires peuvent poser des jours de congé pour certaines fêtes religieuses qui sont définies par la loi. Encore une fois, face à cette situation, je ne peux défendre que le fait que ce jour soit férié pour tous.

Enfin, pour un principe d’égalité, je ne vois pas pourquoi nous n’aurions pas tous les mêmes jours fériés. Il ne s’agit pas là d’un réflexe jacobin primaire mais bien d’une égalité entre les travailleuses et les travailleurs.

Bien sûr, chaque région, chaque établissement, ne connaît pas les mêmes réalités dans ce domaine. Mais alors, pourquoi ne pas imaginer aussi des jours fériés pour les personnes qui ne posent pas de jours religieux ? Je propose dans ce cas là que le 18 mars soit férié pour commémorer le début de l’expérience révolutionnaire de la Commune de Paris.

Il est vrai que je préfèrerais que l’ensemble des jours fériés entretiennent la mémoire de la lutte des peuples à travers le monde pour la liberté et l’égalité. De même, il faudrait déconnecter l’ensemble des congés du calendrier religieux. Mais nous en sommes très loin. Alors il ne sert à rien de se cacher derrière des espoirs que personne n’essaye de rendre réels. Donc dans un souci d’égalité, je ne peux encore défendre que le fait que ce jour soit férié pour tous.

Le calendrier scolaire n’a rien de laïc

Pour conclure, j’estime que cette situation est le reflet d’un fantasme vis-à-vis de la laïcité. Je nomme les vacances d’octobre « vacances d’automne ». Mais ce sont les vacances de la Toussaint. Il ne sert à rien d’appeler les vacances de fin d’année autrement que vacances de Noël. Reste celles d’hiver, qui n’ont pas de référence religieuse. Car si Pâques ne tombe pas pendant les vacances, le lundi sera férié.

Le calendrier des congés scolaires n’a rien de laïc. Il conforte la place de la tradition chrétienne comme base de la société française. Mais le peuple de France a changé. Et tant mieux, car les cultures se mélangent, se complètent, se confrontent parfois mais finalement, c’est une richesse intellectuelle. Il serait donc temps de prendre en compte cette diversité.

Or, aujourd’hui, l’islam est la deuxième religion de France, la première dans certains territoires. Ce qui a été acceptable pour le catholicisme ne le serait pas pour l’islam ? Les vacances de Noël n’ont jamais soulevé d’opposition. Pourquoi rendre un jour férié poserait-il problème ? Alors encore une fois, je ne peux défendre que le fait que ce jour soit férié pour tous.

Un risque de repli religieux

Si je reste convaincu que les organisations religieuses sont les complices du capitalisme, de l’asservissement des peuples et en particulier des femmes, je me refuse à adopter une vision autoritaire qui viserait à la disparition des croyances. Mon combat est contre les hiérarchies religieuses, pas contre les gens.

Or, je suis convaincu que le fonctionnement actuel donne des arguments pour un repli identitaire et religieux. « On ne me reconnaît pas à l’égal des autres du fait de ma religion, alors j’en ferai encore plus. » Voilà le risque.

Bien sûr, cet argumentaire porte sur une fête musulmane, mais il pourrait être le même pour une fête juive, bouddhiste, hindouiste… On n’arrêtera donc jamais de fêter les religions ? Ce n’est pas mon souhait, mais pour cela, il est temps de se lever contre les injustices sociales, les dictatures coloniales, le capitalisme dévastateur qui sont le terreau des religions.

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