Les révélations d’Evgueni Tchazov, médecin-chef qui dirigeait le «département 4» chargé de la santé des leaders communistes au Kremlin, remet au goût du jour les conditions encore non élucidées de la mort du président Houari Boumediène. Il a plaidé la thèse de l’empoisonnement. De quoi justifier la réouverture d’une enquête …
L’entretien accordé par le Pr Tchazov à la réplique arabophone d’une chaîne internationale russe, a porté sur son témoignage quant aux soins prodigués par les médecins soviétiques aux présidents Egyptien et Algérien, Nasser et Boumediène. Un témoignage consigné dans son livre paru récemment : «Santé et Pouvoir, souvenirs d’un médecin du Kremlin», où il a conclu, en substance, qu’«il y a quelqu’un qui aurait aidé le président Boumediène à rejoindre l’au delà.». Rappelons le contexte.
C’était juste après la signature des accords cadres pour la paix au Moyen-Orient, négociés entre l’Égypte et Israël à Camp David, aux Etats-Unis. Le président Boumediène s’était rendu en URSS pour des soins à son retour d’une tournée qui l’avait conduit dans dix capitales du Moyen-Orient et qui s’était terminée par un sommet du «Front de fermeté» (Syrie, Libye, Yémen démocratique, OLP et Algérie), tenu à Damas, en septembre 1978.
Le président Boumediène entreprenait alors de rallier les «attentistes ». Prônant l’intransigeance sur les principes afin de préserver les Palestiniens du désespoir après la défection de l’Égypte, Boumediène misait beaucoup sur une réconciliation entre la Syrie et l’Irak, indispensable pour la crédibilité d’un front nord contre Israël.
Or, l’Irak de Saddam Hussein qui combattait la prétention maghrébine de leadership au Front de fermeté, avait fait volte-face et boycotté le sommet à la dernière minute, mettant Boumediène, qui avait investi une partie de son autorité, dans l’embarras.
Le sommet de Damas s’était, en tout cas, soldé par la réconciliation des Palestiniens et des Jordaniens. Et, alors que les Etats-Unis brandissaient la menace d’intervenir militairement pour garantir la paix, les participants avaient décidé de recourir à l’URSS. La tension géopolitique qui s’en était suivie avait failli provoquer une autre guerre dans la région.
Bref, le Pr Tchazov s’est souvenu du haut de ses 84 ans des conditions dans lesquelles il avait reçu le président Boumediène, le secret auquel avaient été astreints les médecins auxquels on l’avait confié en URSS et aussi de l’angoisse qui les a pris à cause d’une rumeur entretenue à l’hôpital où il était à Alger.
«On a eu peur de se voir lyncher s’il mourrait. La crème des médecins soviétiques était là pour prendre le président Boumediène en charge. J’avais dû appeler le président Andropov pour le lui faire part de mes inquiétudes s’il lui arrivait quelque chose. A la mort du président Boumediène, un responsable nous avait amené via le sous-sol pour nous faire sortir à travers une porte dérobée», a-t-il raconté.
S’agissant du diagnostic et quoiqu’il ait soutenu, sans l’affirmer, que les symptômes que présentait feu Boumediène ressemblaient à un «empoisonnement», Pr Tchazov a avoué, 35 ans après, que l’équipe médicale présente à son chevet s’était révélée, à l’époque, «incapable de diagnostiquer son état de santé». Selon ses dires, le défunt président lui avait confié qu’«il a commencé à se sentir mal après avoir mangé dans l’avion».
S’il n’a pas précisé où était l’avion quand ces signes de fatigue sont apparus sur lui, Pr. Tchazov n’a néanmoins pas manqué de faire le parallèle avec la mort du leader palestinien Yasser Arafat quant à l’insuffisance du diagnostic.
«Nous avions constaté le dysfonctionnement de beaucoup de ses organes vitaux et aussi un changement dans l’équation chimique de son sang. Nous étions devant un état critique qui s’aggravait. Nous l’avions accompagné à Alger. D’autres médecins avaient été amenés de France mais, nous n’avions pas pu comprendre son cas», a-t-il indiqué.
Boumediène est mort un peu plus d’un mois après sa tournée en Orient. Saura-t-on un jour les dessous de sa mort ? Son corps sera-t-il exhumé pour un réexamen ? C’est la seule solution, à vrai dire, pour pouvoir préciser le diagnostic et élucider les conditions de sa mort.