Un grand décalage persiste dans la perception de l’avenir énergétique de l’Algérie : Entre les spécialistes et presque l’ensemble des autres Algériens. Illustration dans la semaine.
C’est Souhila Hachemi qui demande, le matin sur la Chaîne III, à son invité du ministère des Travaux publics si l’Algérie va, «compte tenu de la vétusté des ports pétroliers actuels», construire de nouveaux ports pétroliers. Voilà le risque d’hallucination auquel s’expose un sillage collant du Premier ministre circulant dans les wilayas avec des enveloppes de 30 à 40 milliards de dinars à distribuer. L’illusion de la reproduction des facteurs à l’infini. L’Algérie n’a pas besoin d’étendre ses spots portuaires d’exportation de pétrole et de gaz.
Le penser, c’est trahir une incroyable méprise sur sa future courbe de croissance sur les exportations d’hydrocarbures dans l’espace temps planifiable des 15 prochaines années. La raison pour laquelle l’Algérie ne dépensera pas pour de nouveaux ports pétroliers, mais réhabilitera, au mieux, ceux de Bethioua et de Skikda, est évidente. Les volumes à exporter ne dépasseront jamais d’ici à 2030 la moyenne vertueuse de 150 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) par an de la période 2004-2008. Dit plus clairement, l’Algérie est plus menacée, sur la prochaine décennie, par le risque de se retrouver avec des capacités excédentaires en installations portuaires pétrolières que l’inverse. Autre illustration du décalage sur la perception de l’avenir énergétique de l’Algérie, la crise ukrainienne. Des commentateurs ont laissé entendre que c’était là une opportunité pour Sonatrach.
La compagnie qui, avec ses partenaires étrangers, est descendue de 14% de parts de marché à 9% en 2013 en Europe, devrait revenir en grâce auprès de ses clients stressés par les risques de coupures des fournitures de gaz russe transitant par le territoire ukrainien. Plus stratégiquement, la tension avec la Russie rendrait plus nécessaire, vu de Bruxelles, le retour à un équilibre précédent où la part des approvisionnements en gaz algérien devra remonter dans la consommation européenne.
Là aussi illusion. Ce qui a fait baisser la part du gaz algérien sur le marché européen est propre à la baisse de l’offre algérienne depuis 2008, la déplétion accélérée de Hassi R’mel, le retard du développement des nouveaux projets (Gassi Touil), puis la perte des volumes de In Amenas. Une rupture partielle des fournitures russes sur les marchés de l’Europe centrale peut créer une tension haussière sur le marché spot du gaz. Et permettre à l’Algérie de résister quelque temps à l’érosion de ses revenus gaziers. Sans plus. La tendance systémique est plus favorable aux consommateurs qu’aux producteurs. A cause de l’émergence d’une autonomie gazière nord-américaine et à l’émergence en Europe des énergies renouvelables. Sonatrach ne palliera pas Gazprom. Et l’Algérie ne tirera pas profit d’un enlisement sur la presqu’île de Crimée.