Revue de presse. Idir, chantre de l’unité nationale

Redaction

Lu sur Liberté

On connaissait Idir pour son engagement identitaire, le voilà aujourd’hui dans l’étoffe d’un véritable héros de l’unité nationale.

En matière de “surprises”, le Forum de Liberté n’a pas été avare, ces temps-ci. Et pour cause ! Après le passage de Yasmina Khadra, qui y était venu annoncer, pas moins, sa candidature aux prochaines élections présidentielles en Algérie, voilà le tour du célèbre chanteur kabyle, Hamid Cheriet, alias Idir, de faire honneur au rendez-vous hebdomadaire de Liberté. Perdu de vue par les Algériens, Idir s’est donc présenté hier à ses compatriotes après… 34 ans d’absence.

Une apparition médiatique qui avait tout l’air d’être un autre “événement mondial”. Sommé de justifier son absence, Idir s’en expliquera par une répartie cinglante : “Quand je n’ai rien à dire, je me tais !”. Son retour, attendu depuis plusieurs décennies, semble surtout motivé aujourd’hui par une exigence intérieure, celle de diffuser un message de paix et de tolérance dans une Algérie faite d’incompréhensions et de conflits. Invité à donner une brève conférence sur le thème “La culture comme fondement d’une nation”, Idir a simplement rappelé que le fait culturel prédomine sur tous les autres : “On a beau vouloir parler de l’Algérie comme d’une économie émergente, mais sans cohérence culturelle, on aura toujours du mal à se comporter avec les autres.”

Il faut dire que face à une assistance nombreuse, venue écouter l’enfant prodige, l’invité de Liberté ne s’est, à aucun moment, démonté. Idir n’est pas un homme à se débiner : “Je suis très à l’aise. D’ailleurs, je ne sais pas être autrement. J’ai beaucoup de plaisir à retrouver mon pays et ses journalistes, des témoins de leur temps, des préoccupations des gens… Je n’ai aucun tabou et je suis prêt à répondre à toutes les questions. Je vais essayer d’être honnête autant que possible, ce qui n’est pas toujours facile. Mais être franc, c’est sûr, je le serai !”, promet-il. Toujours égal à lui-même, avec son ton mesuré et profond, l’auteur d’Essendu n’aura éludé aucune question.

À commencer par la plus sensible, à savoir l’autonomie ou l’indépendance de la Kabylie. La culture amazighe faisant partie de l’Algérie, ne pas le reconnaître serait ouvrir, selon lui, la porte à toutes les dérives : “Il faut s’attendre à tout. Si on s’obstine dans cette posture de rejet de l’identité amazighe, que voulez-vous qu’on fasse ? Qu’on se sépare ? Qu’on se mette à l’écart ?” s’inquiète-t-il. De toute manière, pour lui, cesser de revendiquer l’identité amazighe serait, déjà, un “aveu d’échec”. Il faut donc se poser, aujourd’hui, les bonnes questions. Et Idir ne s’en prive pas : “L’autonomie en soi est un concept qui vient en réaction à quelque chose. Mais par qui cela a été provoqué ? Et par quoi ?”. D’après l’interprète et compositeur d’Avava Inouva, il s’agit là d’une suite logique et naturelle à un déni d’identité. “Cela découle d’un phénomène de révolte et de la nécessité de construire sa culture.”

Contrairement à Chakib Khelil
Pour lui, chacun a un droit de cité dans ce pays. “Dans ses droits et dans ses devoirs”, précise-t-il. Il regrette que l’idéologie ait pris le pas sur la sensibilité et l’émotionnel. Il semble redouter, plus que tout, le fameux “taghanent” ou le syndrome de la chèvre qui vole, un facteur de division doublé parfois d’un mécanisme de sous-développement. Le natif d’Ath Yenni se souvient, ainsi, des pratiques du président Houari Boumediene qui s’évertuait à acheter les consciences des notables en exacerbant les clivages tribaux. “Il ne suffit pas de décréter une langue si on ne la légitime pas ou si on ne la travaille pas.” Le débat concernant la transcription du tamazight en caractère arabe, en tifinagh ou en langue latine ne le laisse pas de marbre : “Cela me regarde pour la simple raison que c’est ma langue maternelle. Il ne suffit pas de décider verticalement. Les caractères arabes sont-ils en mesure de refléter nos occlusives et nos emphases ? Pour ma part, je ne sais pas. C’est aux linguistes et aux spécialistes de trancher.” Pour lui, cette question ne consiste pas seulement à mettre des mots sur du papier : “Jusque-là, des sociologues et des chercheurs étrangers nous disaient qui nous étions. Ensuite, on a voulu limiter l’écriture de notre histoire à partir du 8e siècle. Mais c’est quoi ce délire ? Moi, je suis là depuis la nuit des temps… c’est donc aux autres d’apporter les preuves de leur identité.” Le lecteur en conviendra que le barde kabyle n’a rien perdu de son âme rebelle : “On me refuse à ce jour dans mon algérianité, de jouir de ma condition de berbère… Moi, je veux être Algérien à part entière. Je ne veux pas être à la traîne et personne ne peut m’ignorer car je suis véritablement un Algérien à part entière !”.

Et d’exhiber alors, contre toute attente, son passeport algérien et sa carte de séjour française. Ainsi, Idir n’a qu’une seule nationalité, une seule, yiwet, disent les Kabyles.  À la question de savoir précisément s’il était prêt à troquer son passeport algérien pour une carte d’identité du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), Idir pose comme condition la nécessité d’une “procédure”… et pas seulement administrative. Il appelle, ainsi, à une véritable concertation qui inclurait même des non berbérophones. “Comment appliquer cela s’il n’y a pas eu d’échanges et si on ne laisse pas les autres répondre aussi ? Il arrivera un moment où chacun devra prendre ses responsabilités…”, prévient-il. Ainsi, contrairement à…Chakib Khelil, Idir n’a pas de nationalité de rechange. Et puis, il n’a pas à se soustraire à la justice des hommes. L’argent et la célébrité, il les a connus très jeune. Et son mérite est loin d’être usurpé, lui qui a fait ressentir la sensibilité algérienne à des milliers de kilomètres. Il faut dire que nous avons à faire à un artiste plutôt “instruit” pour ne pas dire un intellectuel. Géologue de formation, Idir sait compter le temps en milliards d’années et cela, même si la Bible prétend que le monde a été créé en seulement six jours. Il se dit de cette “génération choyée” d’avoir fait des études dans plusieurs langues et d’en avoir gardé à ce jour le “sens du discernement”. En réalité, Idir est même un brin nostalgique de cette effervescence culturelle de l’Algérie post-indépendante : “On avait une histoire qu’on tenait fièrement au bout des bras. Il n’y avait aucune barrière pour l’art et la créativité. J’ai connu la liesse dans la victoire, la fierté d’appartenir à ce pays et aussi la déception d’un pays qui ne me reconnaît pas.” Revenant sur les ratages, il pointera du doigt notamment l’enseignement : “La langue du colonialisme a été, pour nous, un accident heureux de l’Histoire. On a réussi à faire sortir Salan, Massu et Jouhaud. Mais pourquoi Voltaire, Rousseau et Diderot ?”, s’écrie-t-il, non sans pertinence. Malgré ses avis plutôt tranchés sur les diverses questions, Idir n’arrive toujours pas à se départir de sa légendaire modestie. Jugeons-en : “Je ne suis qu’un saltimbanque qui gratouille dans son coin sa guitare et qui est le premier à se réjouir qu’on s’intéresse un peu à lui. Je veux chanter pour celui qui veut bien m’écouter. Être utile est ce qui peut arriver de mieux à un artiste. Le pire serait de devenir une caricature d’artiste…”

Les mots sont lâchés. Idir n’a aucune ambition politique et se conten‡te de son rang : “Je n’attendrais pas que ma langue devienne officielle pour venir chanter en Algérie. Je suis seulement un amoureux de la Kabylie… heureuse et non attaquée et qui subit autant de choses mortifères. Notre destin n’est-il pas d’être heureux ?”, questionne-t-il, à son tour, les journalistes venus nombreux pour s’enquérir essentiellement de sa position vis-à-vis d’un mouvement séparatiste. Pourtant, il n’existe en Algérie, pour l’heure, qu’une seule enclave connue, à savoir celle de… Club-des-Pins. Pour y pénétrer, les Algériens doivent montrer patte blanche. Le check point tenu par les gendarmes
ressemble à s’y méprendre à un poste frontalier. On a comme l’impression d’avoir affaire, là-bas, véritablement à un pays étranger. Comme en Europe, les Algériens y sont perçus comme des “citoyens non communautaires”. Seuls les résidents ou leurs invités y ont accès. Les autres sont priés d’aller voir ailleurs. Et Idir, lui, est un Algérien !