Revue de presse. Kamel Daoud, l’homme révolté

Redaction

Chroniqueur acide de la vie politique et sociale de son pays, l’écrivain algérien poursuit l’oeuvre de Camus en imaginant qui était l’Arabe tué par Meursault dans L’Étranger. Et comment sa famille a réagi face à ce drame.

Son identité est un mystère que nul n’a élucidé. Qui sait qui était cet Arabe que Meursault a tué en 1942 sur une plage de l’Algérie française ? Ce personnage clé du chef-d’oeuvre d’Albert Camus L’Étranger n’a ni nom ni prénom. Aucune famille ne lui est connue. Depuis, il demeure une ombre assassinée froidement avec pour unique témoin un soleil de plomb. C’était sans compter le talent de Kamel Daoud. Ce brillant journaliste algérien s’est plu à revisiter l’univers camusien pour en exhumer un dossier imaginaire estampillé « l’Arabe de Camus » dans Meursault, contre-enquête. Un premier roman né d’un texte que le chroniqueur du Quotidien d’Oran avait publié en 2010, et qu’il avait intitulé « Le Contre-Meursault ou l' »Arabe » deux fois tué ». Dans ce récit, court et incisif, repris par le journal français Le Monde, Kamel Daoud ose donner un nom à celui qui « n’avait pas droit à un seul mot dans cette histoire ».

La victime de Meursault, invente Kamel Daoud, se prénommait Moussa. Mais « il sera l’Arabe pour toujours », soupire Haroun, un vieillard esseulé dans un bar d’Oran, qui vous tutoie d’emblée. Lui, c’est le seul frère de Moussa, originaire du quartier algérois de Bab El Oued. Leur père était un veilleur de nuit taiseux, leur mère toujours en vie est plongée dans un deuil irrémédiable. Avec délicatesse, Haroun avertit l’universitaire camusien, qui l’écoute doctement : « Ce n’est pas une histoire normale. » Elle est aussi absurde que le meurtre de l’Arabe, construite à partir de faits littéraires dont s’affranchit Kamel Daoud.

Un arabe dialectal élégant et un français châtié

Dès la première ligne, son roman s’annonce audacieux : « Aujourd’hui M’ma est encore vivante. » Une référence décomplexée à L’Étranger, réapproprié sans rancoeur ni désir de vengeance. « Quand on lit Camus, on pense mais on ne rêve pas. Je voulais investir son univers par l’imaginaire », confie-t-il en dégustant son café dans une pièce exiguë du bureau parisien des éditions Actes Sud. Kamel Daoud parle comme il écrit, avec des phrases courtes, précises, rythmées et subtiles, adoucies par des métaphores, panachant un arabe dialectal élégant et un français châtié. Figure de proue de la scène médiatique et littéraire algérienne contemporaine, Kamel Daoud se refuse aux génuflexions devant un temple camusien sacralisé, intellectualisé ou politisé par des exégètes et autres critiques dont certains n’ont toujours pas cicatrisé les plaies béantes de la guerre d’Algérie. Pas de tabou à cet égard pour cet auteur né en 1970, huit ans après l’indépendance, qui l’admet sans gêne : « Camus fait partie de ma généalogie littéraire, mais sans plus. »

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