Lu sur Algeria-Watch
A deux mois de la présidentielle, les généraux s’opposent au puissant service des renseignements, connu sous le sigle de DRS. L’issue sera décisive pour l’avenir du président Bouteflika, malade et candidat probable à un quatrième mandat.
Quel est le contexte ?
ALGERIA WATCH : Alors que le climat politique délétère en Algérie n’est agité depuis de longs mois que par la seule question de la candidature éventuelle – pour un quatrième mandat – d’un président très diminué physiquement à l’élection présidentielle prévue le 17 avril, une « bombe médiatique » a explosé le 3 février : dans une sortie publique sans aucun précédent, Amar Saâdani, secrétaire général du Front de libération national (FLN, au pouvoir), s’est attaqué très violemment au chef d’état-major Mohamed Mediène (74 ans), alias Tewfik, l’inamovible (depuis septembre 1990) et tout-puissant chef du DRS (Département du renseignement et de la sécurité), la police politique au cœur du régime.
Et trois jours plus tard, le 6 février, le quotidien arabophone El-Khabarannonçait que le président Abdelaziz Bouteflika (75 ans) aurait « démis de ses fonctions » le général Mediène, « ainsi qu’une centaine d’officiers de l’armée, de la gendarmerie et du DRS » –, une annonce ni démentie ni confirmée à ce jour. Et le 8 février, on apprenait qu’un ancien adjoint de Tewfik, le général Hacène, avait été arrêté manu militari trois jours plus tôt, accusé d' »activités séditieuses ».
Quelles sont donc les forces en présence ?
Derrière l’écran de fumée de la lutte de clans qui opposerait celui du président Bouteflika à celui du général Tewfik, il est clair que le vrai conflit pour le pouvoir est celui opposant les chefs du DRS à l’état-major de l’armée – qui souhaite récupérer l’intégralité de ses prérogatives. Aux yeux de l’armée, le DRS doit retrouver sa vocation stratégique, essentielle, de défense de la sécurité nationale, largement abandonnée après la fin de l’ère Boumediene [président de 1965 à 1978] puis complètement à l’éviction du gouvernement réformateur en juin 1991.
Depuis cette date, derrière des paravents civils, le DRS a constitué la réalité du pouvoir politique, maître d’œuvre de la répression et de la manipulation, gestionnaire occulte et irresponsable de la vie économique et sociale de la société tout entière.
Mais dès le début des années 2000, des tensions sont apparues entre ces deux pôles du pouvoir réel, notamment avec la sombre affaire Brown & Root Condor en 2006 [scandale de corruption qui a fait perdre 750 millions d’euros à l’Etat].
Pourquoi ce conflit éclate-t-il aujourd’hui ?
Ce conflit latent depuis plusieurs mois – rappelons que l’annonce d’une réorganisation du DRS date de septembre 2013 – s’est accéléré avec l’aggravation de l’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika. L’état-major souhaite clôturer l’ère Tewfik avant la présidentielle. Les généraux appréhendent les interférences de Tewfik et de ses collaborateurs dans le processus électoral.
Un quatrième mandat de Bouteflika fait-il consensus ?
Jusqu’à l’éclatement de la crise sur la place publique avec les déclarations de Saâdani, il semble que les décideurs dans leur ensemble étaient d’accord pour la continuité. La remise en question du quatrième mandat s’est brutalement imposée dans l’actualité des journaux aux ordres quand les premiers décrets de mise à la retraite d’officiers du DRS ont été annoncés, le 13 janvier.
Avant cela, il semble que malgré l’état évident d’épuisement du président – au point d’en être gênant pour le téléspectateur – peu de voix contestent son éventuelle candidature à l’élection d’avril 2014, bien que le chef de l’Etat ne paraisse plus en mesure d’assumer une fonction particulièrement exigeante. Son frère Saïd, qui joue le rôle de chef de cabinet informel, tente bien de s’assurer des alliances dans les appareils. Mais, face à l’omnipotence du DRS et à la puissance de l’état-major, ces alliances paraissent précaires.
Cette crise est-elle liée à d’autres facteurs ?
Il n’est pas certain que ce qui se passe actuellement à Alger soit lié à la question du quatrième mandat du président Bouteflika. L’approche de la présidentielle contextualise certainement le conflit au sommet de l’appareil sécuritaire, mais beaucoup sont persuadés que ce qui se déroule est essentiellement la sanction d’un échec majeur, une des conséquences de l’onde de choc d’In Anémas. (L’assaut terroriste sur la base gazière en janvier 2013 et la gestion désastreuse par le DRS de la prise d’otages a mis en exergue l’incompétence de l’équipe dirigeante de ce département.)