Revue de presse. Les dessous de l’affaire de corruption SNC-Lavalin

Redaction

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Lu sur Liberté

SNC-Lavalin a-t-elle construit son empire en Afrique du Nord avec des pots-de-vin ? C’est à cette question que l’équipe “Enquête” de Radio-Canada a tenté de répondre lors d’une émission spéciale diffusée jeudi soir.

L’enquête menée depuis des mois par les journalistes de ce diffuseur public a révélé l’ampleur des stratagèmes de pots-de-vin utilisés pour arracher des contrats au Maghreb.

Si les dessous de la corruption, dans laquelle était impliquée SNC-Lavalin, étaient dévoilés à la faveur du Printemps arabe qui a emporté les despotes tunisien et libyen, les contrats décrochés par l’entreprise d’ingénierie canadienne en Algérie n’étaient pas moins en eaux troubles.

Selon la journaliste Anne Panusuk, qui a obtenu des informations du DRS, depuis le premier projet octroyé à Lavalin (avant sa fusion de SNC-Lavalin) au début des années 1980, il y avait eu enquête pour déterminer si des pots-de-vin avaient été versés. L’enquête a été stoppée dès l’entame des investigations.

Il a fallu attendre la justice suisse qui découvre le pot aux roses pour voir secouer le cocotier de la boîte canadienne et dévoiler ses pratiques douteuses en Algérie. C’est cette filière qu’a remontée Radio-Canada. Les investigations judiciaires en Suisse, et surtout en Italie, ont poussé la justice algérienne à s’autosaisir du dossier SNCLavalin.

L’enquête de Radio-Canada qui s’est intéressée, entre autres, au contrat de construction d’une station de traitement et de transfert d’eau du barrage hydraulique de Taksebt, dans wilaya de Tizi Ouzou vers Alger, a découvert un trou de deux millions de dollars en fausses factures. Le contrat était de 750 millions de dollars.

D’autres contrats n’échapperont pas à la règle. C’est que SNC-Lavalin a remporté 90% des contrats octroyés en Algérie, alors que la règle établit le taux généralement à 10% des soumissions publiques.

Comment alors ce géant canadien s’est offert le luxe de rafler, c’est le cas de le dire, presque tous les contrats. Un nom se profile derrière ce stratagème : Farid Bedjaoui, un Algéro- Canadien, cité dans l’enquête de Radio- Canada. Celui-ci servait d’intermédiaire entre les entreprises candidates aux contrats publics et l’ex-ministre de l’Énergie, Chakib Khelil.

À titre d’exemple, Bedjaoui s’est vu remettre 298 millions de dollars par l’entreprise italienne Saipem en contrepartie de contrats avec Sonatrach qui dépassent la bagatelle de 10 milliards de dollars. Intervenant lors du reportage, un journaliste italien du journal Il Sore 24 Ore, qui a déjà enquêté sur le sujet, a fait le parallèle entre Saipem et SNC-Lavalin.

Autrement dit, si la filiale de l’ENI a dû débourser des dessous- de-table colossaux, cela ne peut être autrement pour l’entreprise canadienne, au vu des contrats arrachés sur le marché algérien.

Le deal a été contracté dans un salon à Paris. Chakib Khelil rencontre des représentants de Saipem. Il leur présente Farid Bedjaoui comme étant son assistant. Le neveu de l’ancien ministre, Mohamed Bédjaoui, servira alors d’intermédiaire ; une sorte d’interface des contrats et des pots-de-vin.

Pour ce faire, Bedjaoui crée deux sociétés-écrans dans des paradis fiscaux pour faire transiter l’argent versé par Saipem et SNC-Lavalin. Les responsables de l’entreprise canadienne, pour sauver la face, chargent des ex-responsables qui ont maille aujourd’hui avec la justice, aussi bien en Suisse qu’au Canada.

C’est le cas de Riad Ben Aïssa, ancien vice-président de SNC-Lavalin internationale incarcéré en Suisse pour des affaires de corruption en Libye. C’est le prédécesseur de ce dernier qui a signé des contrats de 4 milliards de dollars en Algérie. Sami Bebawi est aujourd’hui refugié à Dubaï, alors que la GRC (Gendarmerie royale du Canada) a saisi une partie de ses biens.

Détenant aussi des biens à Montréal, Farid Bedjaoui s’est refugié, lui aussi, dans les pays du Golfe où il s’est offert un bateau de 25 millions de dollars. Il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, tout comme d’ailleurs Chakib Khelil qui vit présentement aux États-Unis.

L’actuel vice-président de SNC-Lavalin, Charles Chebl, dit attendre les conclusions des enquêtes diligentées par la justice. Il reconnaît, en revanche, qu’il ne voyait pas venir une telle avalanche de scandales, écorchant un peu plus la crédibilité du groupe à l’international. Dans une entrevue à Liberté, M. Chebl avait estimé que les malversations étaient “le fait d’individus”.

Des employés de SNC-Lavalin en Algérie ont saisi la direction de l’entreprise à Montréal avec un courrier dont nous détenons une copie et dans laquelle ils alertent sur l’ampleur de la corruption dans le groupe. Le nom de Farid Bedajoui est cité dans la missive.

Le ministre canadien des Affaires étrangères, en visite à Alger début septembre, a affirmé que le cas SNCLavalin n’était pas représentatif des entreprises canadiennes. Le jour même, John Baird écrit sur son compte Twitter que “toute partie qui s’avère avoir enfreint la loi sera jugée”. Aujourd’hui, SNC-Lavalin est “blacklistée” par les autorités algériennes ; c’est-à-dire qu’elle est exclue d’office dans les soumissions aux appels d’offres.

Elle est seulement en gérance des anciens projets qu’elle a arrachés avec la manière que l’on sait. Selon des indiscrétions, l’entreprise risque même de fermer ses bureaux à Alger.