Revue de presse. Peut-on encore croire aux miracles ?

Redaction

Lu sur L’Expression

Il ne sert à rien de poser les questions en tous cas car c’est un Miracle ou, du moins, c’est ce qu’on veut que l’on comprenne.

Fatma, qui connaît? Personne d’autant plus qu’il s’agit d’un prénom commun chez les Arabes et chez les musulmans. Et Fatma la Soudanaise? Personne non plus ne la connaît surtout que nul ne mentionne dans quelle partie du large Soudan on peut la trouver, la voir, discuter avec elle et s’assurer de ce grand miracle qu’elle vient de vivre ces jours-ci, comme par hasard.
Fatma, c’est le nom d’un fantasme, un autre parmi tant d’autres que certains ne cessent de faire à longueur de leur vie mal calée entre le présent qu’ils n’arrivent pas à vivre et le passé qu’ils échouent à retrouver. C’est le nom de cette illusion perpétuellement entretenue à coup d’histoires tissées à la hâte autour de mensonges éhontés et de songes hantés. Fatma… c’est aussi cette plaie qui refuse de se refermer dans le profond de notre mémoire ensevelie sous la poussière du temps.

Le miracle empaqueté
Beaucoup d’entre nous ont, ne serait-ce qu’une fois, reçu de ces courriels qui annoncent le Miracle. Ce n’est pas tant le miracle en soi qui étonne, tous les peuples et toutes les contrées en cherchent ou en inventent, mais c’est plutôt l’enveloppe dans lequelle d’aucuns le mettent. Le packaging comme dirait le spécialiste du marketing.
Parfois c’est un vieillard, prétendu gardien de la mosquée de Médine qui, dans son rêve, aurait vu le Prophète Mohamed (Qsssl) qui lui aurait dit des choses sur l’humanité. Parfois, c’est un enfant qui, du haut de ses huit années, à peine entamées, se met à réciter de profonds discours devant une assistance médusée. Ici, c’est un vieillard qui retrouve l’utilisation de ses membres paralysés depuis longtemps et là, c’est un mot qui s’écrit dans le ciel pour soutenir des manifestants ou des contestataires… Bref, certains tiennent à nous faire croire que le miracle est là, qu’il existe encore de notre temps.
C’est dans ce contexte que, récemment, une certaine presse a rapporté le dernier miracle en cours. Celui qui, selon ses auteurs se serait passé ces derniers jours à Médine. Le moment est bien choisi, car il s’agit du mois sacré de Dhou El Hidja et l’endroit aussi, car il est question de la Mosquée sacrée du Prophète (Qsssl). La jonction des deux sacrés dans la langue des astrologues aurait donné naissance au miracle. De quoi s’agit-il au fait? Il paraît que, Fatma, une vieille soudanaise, venue cette année accomplir l’obligation du Hadj, se trouvait dans la Mosquée de Prophète (Qsssl) lorsqu’elle retrouva la vue qu’elle avait pourtant perdue depuis sept longues années. Par quel effet? Par quel mécanisme? Ce n’est pas dit. Devant quels témoins? En présence de quelle autorité? Cela non plus n’est pas mentionné. Où peut-on la voir? Comment peut-on entrer avec elle en contact pour vérifier? Rien de tout cela ne figure dans l’information balancée, comme cela, sans rien d’autre que l’information elle-même, ou plutôt que le miracle lui-même. Il ne sert à rien de poser les questions en tous cas, car c’est un Miracle ou, du moins, c’est ce que les auteurs de cette «information» veulent que l’on comprenne.

«Charlatanisation» de la religion
Tout le monde se souvient d’avoir déjà eu à entendre de pareilles histoires, ce genre de miracles n’est donc pas nouveau. S’il en est qui, touchés dans leur naïveté religieuse, avalent de tels racontars tout simplement parce que les auteurs ont eu la sournoiserie de leur choisir comme cadre la Mosquée de Médine, il en est heureusement d’autres qui ne peuvent y croire, non pas qu’ils manquent de foi, mais parce qu’ils considèrent que tous ces mensonges vont à l’encontre de la religion musulmane et qu’ils lui causent plus de mal qu’ils ne la servent.
S’il est admis que, dans un hadith rapporté par Abu Hourayra, le Prophète (Qsssl) avait dit que l’«on ne s’en va à la visite que de trois mosquées, la Mosquée sacrée (de Makkah), la mienne et la mosquée d’El Aqsa», ce n’est certainement pas pour y chercher des miracles quelconques, mais plutôt pour y trouver les hauts repères de la religion. Pour retrouver les lieux de l’inspiration divine dans le cas des mosquées de Mekkah et de Médine et pour aller à la rencontre de la mosquée que visitèrent tous les prophètes, sans exception, dans le cas d’El Aqsa. Pourquoi dès lors certains s’obstinent à vouloir nous servir des miracles en ayant recours, en plus, à des subterfuges indignes et irrecevables?
C’est peut-être parce qu’ils croient servir ainsi la religion. Or, on ne sert pas la religion à l’aide de mensonges car, comme il est dit dans notre religion, «ce qui est bâti sur du mauvais est lui-même mauvais». L’Islam est la religion de la droiture, de la vérité et du beau et quiconque essaie de la servir par la supercherie, le mensonge ou l’escroquerie ne peut que la desservir. Raconter à tout le monde que Fatma aurait retrouvé la vue après sept ans de cécité totale uniquement parce qu’elle se trouvait dans la mosquée de Médine est plutôt une tentative, une autre, de «charlatanisation» de notre religion.
Mais sachant que, en Islam, quiconque peut se mêler de religion (ce qui n’est pas pour lui rendre service non plus), pourquoi ces gens n’ont-ils pas alors recours à des méthodes plus honnêtes pour convaincre les gens ou les attirer vers la religion? C’est, à notre avis, parce qu’ils n’ont aucune capacité à produire des arguments sérieux et convaincants. C’est leur incapacité religieuse et intellectuelle qui leur fait faire de telles pratiques qui vont exactement à l’encontre de ce qu’ils veulent en réalité.
Non, l’Islam n’a pas besoin de procédés malhonnêtes qu’il réprime et rejette de toutes ses forces. S’il est probable qu’il s’agit là de tristes tentatives isolées d’êtres peu aptes à traiter du religieux, il demeure néanmoins inquiétant de voir que ces tentatives arrivent quand même à être avalées par bon nombre, dont certains sont même… des enseignants universitaires qui se plaisent, pour certains, à faire circuler cette sorte d’information en vous promettant des «hassanate», des bons points en quelque sorte si, à votre tour, vous faites circuler!
Parfois, il n’est pas interdit de penser que ce sont là des gens qui souhaitent plutôt porter atteinte à la religion qui procèdent de telle manière. Qui sait?

Pourquoi chercher des miracles?
Dans les différentes religions, les miracles n’ont été là que pour appuyer les prophètes. Leur vocation était de servir ces messagers de Dieu dans l’accomplissement de leur mission. C’est ainsi qu’Ibrahim (Qsssl) put sortir indemne du grand bûcher dans lequel on le jeta, que Moïse (Qsssl) envoya sa canne avaler les subterfuges des sorciers d’Egypte et qu’il put se frayer un chemin dans la mer devant le regard ébahi de ceux qu’il venait de sauver des mains du Pharaon. C’est ainsi aussi que Soulayman (Qsssl) put comprendre les animaux, que Jésus (Qsssl) put s’adresser aux gens depuis les bras de sa mère, qu’il put ressusciter des morts, qu’il fit retrouver la vue à des aveugles ou qu’il marcha sur l’eau et c’est ainsi aussi que Mohammed (Qsssl) put accomplir l’ascension la nuit d’El Isra wal Mi’radj ou qu’il échappa à ses poursuivants à la sortie de La Mecque…etc.
Mais depuis que Dieu a cessé d’envoyer des messagers sur terre, à quoi serviraient donc les miracles et par quel intermédiaire arriveraient-ils? N’est-ce pas suffisant que tout en nous soit un miracle? N’est-ce pas suffisant que tout souffle dans cet univers soit un miracle? Que toute naissance, que toute mort, que tout sourire est un miracle? N’est-ce pas que tout, absolument tout, depuis l’infiniment petit à l’infiniment grand, est en soi un miracle? Pourquoi alors certains auraient-ils besoin, chaque fois, d’une Fatma Soudanaise, d’un prétendu aveugle gardien de la mosquée de Médine qui, soit dit en passant, n’en a pas, ou de tout autre support pour nous raconter des mensonges à propos de soi-disant miracles?

Et où en trouver?
Les miracles, il est temps de cesser d’en chercher un peu partout, il n’y en a plus tout simplement, du moins dans le sens que certains veulent leur donner. Les miracles de notre époque, lorsqu’ils sexistent, sont d’une autre nature. Ils ont une autre mission et donc d’autres sens.
Les miracles du notre ère, il faut les chercher d’abord, et surtout, dans ces pays qui ont su se développer malgré l’absence de ressources naturelles, de ces sociétés qui, complètement anéanties à l’occasion d’une guerre ou d’un conflit, ont pu se redresser et venir se positionner à la tête de l’humanité. Les miracles sont aussi à chercher du côté de ces peuples qui ont su se redonner le goût de vivre par la seule sueur et les moyens de vivre seulement par l’effort continu. Les miracles sont à chercher dans ces histoires vraies d’hommes, réels ceux-là, qui ont pu remettre leur pays sur les rails après le sous-développement, la misère et l’injustice avant de passer le témoin.
Les miracles, de nos jours ne s’appellent pas Fatma et ne peuvent ressembler à un vieillard où qu’il soit et qui qu’il soit!
En ce qui nous concerne, et pour ceux qui croient encore aux miracles, c’est dans les coeurs qu’il faut aller les chercher de notre temps. Oui, il serait peut-être utile de prier pour qu’intervienne le miracle dans les coeurs endurcis de ceux qui nous entourent.
Dans le coeur des frères et soeurs qui ne s’adressent plus la parole pour de basses histoires d’héritage comme on en entend à longueur de journées, dans le coeur de ces enfants qui assassinent leur père pour en hériter ou qui égorgent leur mère parce qu’ils ne l’aiment pas, comme cela fut rapporté ces derniers jours depuis Relizane. Dans le coeur des voisins qui passent à côté de leurs voisins sans les voir parce qu’ils sont plus faibles ou plus pauvres et, surtout, dans les coeurs de ceux qui oublient de voir en l’homme son humanité.
Autrement, et ailleurs, cessons donc de chercher les miracles, car il n’y en a point et mettons-nous au travail pour développer nos pays, pour émanciper nos peuples de l’ignorance qui les guette, de la faim qui les guette au tournant et de la misère qui les attend en embuscade, le sourire aux lèvres!

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